Amel Boubekeur : « Si les islamistes s’inscrivent dans la révolution, c’est par opportunisme »
La Franco-Algérienne Amel Boubekeur est chercheur et spécialiste de l’islam politique. Elle publiera fin décembre, en collaboration avec Olivier Roy, « What have islamist become ? » aux éditions Columbia. Interview.
Jeuneafrique.com : Les islamistes doivent-ils leurs victoires, en Tunisie et au Maroc, aux révolutions arabes ?
Amel Boubekeur : L’islamisme n’est pas un enfant naturel des révolutions. Il ne faut pas oublier qu’ils n’étaient pas dans la rue au moment des soulèvements ! Ce n’est en tout cas pas l’islamisme idéologique qui a gagné. On peut dire par contre que les régimes ont aujourd’hui intérêt à organiser une transition en jouant, notamment, sur la carte de la justice sociale, que brandissent en priorité les islamistes. De leur côté, les islamistes ont intérêt à accéder au pouvoir sans bouleverser pour autant les institutions. Et enfin, les votants avaient intérêt à voter pour une idéologie qui sorte du lot et qui soit claire. Ces victoires sont le produit d’un contexte particulier, mais si les islamistes s’inscrivent dans la révolution, c’est avant tout par opportunisme.
Au Maroc, qui a voté pour le Parti de la Justice et du développement (PJD) ?
Le vote a été finalement assez disparate. Il y a des gens qui étaient convaincus de longue date. D’autres qui ont voté contre le G8 et on peut parler dans ce sens d’un vote antisystème. Finalement le PJD avait l’offre la plus lisible, la communication la plus simple et il a fait les promesses les plus consensuelles, capables de contenter une large frange de la société. En se désidéologisant, ils ont pu mobiliser une clientèle très large. Les gens veulent de bons gestionnaires et sur le plan local, le PJD a fait ses preuves.
Le PJD reste-t-il un parti islamiste ?
Avec l’exercice du pouvoir, les islamistes vont devoir faire des alliances et ils ne pourront donc pas faire ce qu’ils veulent. Ce qu’ils veulent ce n’est pas avoir LE pouvoir, mais avoir du pouvoir. Eux veulent gérer les questions quotidiennes et les tensions sociales. Leur virginité vis-à-vis du pouvoir va en prendre un coup. Ils vont devoir pratiquer un islamisme mou, une sorte de populisme à moindre coût. De toute façon, leur capacité de changement, dans ce système verrouillée, est limitée.
Le PJD a-t-il aujourd’hui les moyens de rétribuer ses votants et ses militants ?
C’est un point essentiel. On en parle beaucoup moins que pour les autres partis, mais au sein du PJD aussi il y a une grosse bataille générationnelle. Il va falloir contenter à la fois les anciens, les fondateurs et les plus jeunes.
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Propos recueillis par Leïla Slimani
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