Mali : « Une complicité en haut lieu avec les trafiquants de drogue et Aqmi »

Le 30 octobre dernier à Bamako, le député de Bourem (Nord-Mali), Ibrahim Ag Mohamed Saleh, a été arrêté par des hommes se présentant comme des éléments des services de renseignement maliens. Ce député touareg de l’Adema-PASJ (majorité présidentielle) dit avoir été menacé de mort et avoir reçu un « dernier avertissement » pour qu’il cesse d’accuser l’État malien de laxisme dans le dossier du narcoterrorisme. Entretien avec un homme en colère.

Publié le 21 novembre 2011 Lecture : 3 minutes.

Jeuneafrique.com : Comment savez-vous que les hommes qui vous ont menacé appartenaient à la Sécurité d’État du Mali ?

Ibrahim Ag Mohamed Saleh : Je le pense car ils semblaient sûrs d’eux. Ils portaient des pistolets automatiques sous leurs costumes et ne cachaient pas leurs visages. S’ils étaient de simples trafiquants de drogues ou hommes de main, pourquoi n’ont-ils pas attendu que je sorte de la ville pour m’intimider ?

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Pourquoi ces hommes vous donneraient-ils un avertissement ?

Je parle publiquement du trafic de drogue et du terrorisme d’une manière qui dérange certaines personnes dans l’État malien.

Juste parce que vous dites que l’État est laxiste dans la lutte contre Aqmi et contre le trafic de drogue ?

Vous savez en 2009, il y a eu l’affaire du Boeing 727 surnommé « Air cocaïne » [voir photo ci-dessous, NDLR], qui a atterri dans la localité de Bourem. Or ce n’est que la partie visible de l’iceberg et nos autorités n’ont rien fait pour trouver une solution au trafic qui perdure jusqu’à aujourd’hui. On a arrêté un Français [Eric Virnay, soupçonné d’être pilote de l’appareil, NDLR], un Espagnol [Miguel Ángel Devesa Mera, NDLR] et un Malien [Mohamed Ould Laweinate, NDLR]. Mais ces hommes ne sont pas les seuls dans le trafic. Il y en a d’autres.

Il n’y a pas complicité passive mais active de nos autorités avec les terroristes.

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Par ailleurs, depuis 2003, date à laquelle les premiers otages occidentaux ont été libérés des mains des islamistes grâce à la médiation de l’État, les éléments d’Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR] n’ont jamais été réellement inquiétés par l’armée malienne. Ils ont même assassiné le colonel Lamana Ould Elbou et c’est sa famille qui a cherché à se venger, avec le colonel feu Hama Ould Mohamed Yahiya, qui a été tué à son tour par Aqmi. Et il n’y a eu aucune réaction de nos forces de sécurité pour venger leurs colonels. Je dirais qu’il n’y a pas complicité passive mais active de nos autorités avec les terroristes. Il faut que cela change.

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L’épave du Boeing de la coke, dans le Nord-Mali

© Serge Daniel/AFP

Pensez-vous qu’il y a une protection en haut lieu pour le trafic de drogue, comme le suggèrent certains médias occidentaux et algériens ?

Je dirais même qu’il s’agit d’une complicité et d’une protection en très haut lieu. Je ne fais pas allusion à Koulouba seulement, mais à toutes les institutions qui sont chargées de trouver une solution aux trafic de drogue et à Aqmi. Je suis dans une institution, l’Assemblée nationale, qui a son mot à dire, mais elle ne le dit pas. On a relayé à maintes reprises les informations sur Aqmi et le trafic de drogue, mais je pense qu’il y a une défaillance du système sécuritaire dû aux proches conseillers du président Amadou Toumani Touré.

Pensez-vous que l’armée malienne est infiltrée par Aqmi, comme le pensent certains pays de la sous région ?

Sur le plan idéologique non, mais sur le plan financier oui. On se rappelle qu’en 2009, des armes de l’armée malienne ont été récupérées entre les mains d’Aqmi : elles avaient été vendues par des soldats ou des officiers maliens. Cette infiltration est aussi due à un manque de volonté politique de nos autorités. De fait, on laisse Aqmi prospérer pour créer un amalgame entre les terroristes et la communauté du Nord afin de discréditer les revendications de cette dernière. Et l’Algérie aussi veut instrumentaliser le problème pour mettre la main sur le pétrole qui se trouve dans ces régions.
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Propos recueillis par Baba Ahmed, à Bamako

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