Turquie – Syrie : Ankara hausse le ton contre Bachar al-Assad
La Turquie laisse désormais entendre qu’elle pourrait être amenée à intervenir militairement en Syrie. Face à cette menace, le régime de Bachar al-Assad semble lâcher la bride au PKK, groupe rebelle kurde menant des actions contre Ankara depuis la Syrie. Le début de l’escalade ?
La suspension de la Syrie par la Ligue arabe ne semble pas avoir ému outre-mesure le régime de Damas. L’isolement international et les menaces occidentales paraissent même le conforter dans son entêtement répressif. La solution à la crise syrienne pourrait-elle venir du voisin turc ? C’est ce que laisse penser la visite à Ankara du ministre des Affaires étrangères français Alain Juppé, les 17 et 18 novembre, qui avait peut-être pour but non officiel d’élaborer un plan d’action afin de contraindre le président Bachar el-Assad à engager la transition politique…
Depuis le début des années 2000, la Syrie était pourtant devenue le pilier du redéploiement économique et politique turc dans la région. Celui-ci s’est matérialisé en 2010 par la création d’une zone de libre mouvement des personnes et de libre-échange entre la Turquie, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Mais les outrances syriennes ont eu raison du principe directeur de la diplomatie de l’AKP : « zéro problème avec les voisins ».
Un appui pour l’opposition syrienne
Encore proche, avant le Printemps arabe, du président syrien qu’il appelait son « ami », le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan s’est d’abord posé en médiateur entre l’Occident et le régime de Damas avant d’inciter ce dernier à engager de véritables réformes. Le 9 août, l’indifférence des autorités syriennes au message de fermeté apporté par le ministre des Affaires étrangères turc Ahmet Davutoglu, a fini par convaincre Erdogan de l’autisme du régime. Dès lors, le discours d’Ankara s’est fait de plus en plus ferme. Des paroles traduites en actes.
Après avoir hébergé plusieurs rassemblements de l’opposition en exil, la Turquie a couvé la formation du Conseil national syrien (CNS) fin août, un des deux grands fronts d’opposition avec le Comité national pour le changement démocratique (CNCD) lancé mi-septembre à Damas. « Nous aiderons le CNS à se renforcer en développant ses relations avec la communauté internationale et avec le peuple syrien », a déclaré le chef de la diplomatie turque, le 18 novembre, tout en reconnaissant le mouvement comme un interlocuteur de la crise. Chose que s’est bien gardé de faire son homologue français, pour le moment.
Mais la Turquie et la France semblent désormais sur la même longueur d’onde pour recourir aux sanctions économiques. Le 15 novembre, le ministre turc de l’Énergie a annoncé l’interruption des explorations pétrolières menées conjointement avec la Syrie et a menacé d’arrêter ses livraisons d’électricité. Le même jour à Alep, des centaines des manifestants scandent « Merci au gouvernement turc et aux dirigeants arabes », selon la chaîne privée turque NTV.
Un abri pour l’ASL
Déjà près de 10 000 Syriens ont trouvé en Turquie un refuge bienveillant et plus sûr que l’asile libanais, où de nombreux opposants ont disparus ces derniers mois. La Turquie abrite également à Antakya, non loin de la frontière, l’état-major de l’Armée syrienne libre (ASL), groupe dissident organisé en brigades locales et constitué de déserteurs et de civils armés qui, après s’être cantonné à la défense des manifestations pacifiques, passe maintenant à l’offensive.
Le 16 et le 17 novembre, des brigades de l’ASL ont ainsi attaqué des centres de l’armée à Damas et Idleb, dans le Nord. En guise de représailles, Assad semble avoir lâché la bride aux indépendantistes kurdes du PKK qui multiplient les actions de guérilla meurtrières ces derniers mois dans le Kurdistan turc depuis son territoire. Une escalade qui pourrait même inciter la Turquie à intervenir militairement en Syrie.
Depuis juin, des troupes ont été concentrées à la frontière où des exercices de mobilisation ont eu lieu début octobre. Le 10 juillet, un éditorialiste du grand quotidien turc Hurryiet posait déjà la question : « Que se passerait-il si la Turquie envahissait la Syrie ? » Une hypothèse de moins en moins improbable depuis qu’un haut dirigeant des Frères musulmans syriens, Mohammad Riad Shakfa, a déclaré le 17 novembre que « le peuple syrien acceptera une intervention [en Syrie] venant de Turquie, plutôt que de l’Occident, s’il s’agit de protéger les civils. Nous pouvons avoir besoin de demander davantage de la Turquie, car c’est un voisin », ajoutait-il, sans toutefois préciser la nature de l’intervention envisagée.
Le lendemain, Hurryiet évoquait des sources du ministère turc des Affaires étrangères indiquant que la Turquie ne s’associerait pas à une opération militaire visant à changer le régime en Syrie… tout en précisant que « le plan d’urgence est prêt » et qu’Ankara pourrait intervenir unilatéralement en cas d’exode massif vers son territoire, ou après une résolution du Conseil de sécurité si des massacres à grande échelle avaient lieu.
Le précédent Ocalan
En 1998, la Turquie avait déjà menacé la Syrie de guerre si elle continuait à donner l’asile au leader du PKK Abdullah Ocalan. Une déclaration prise immédiatement très au sérieux par la Syrie. Le leader kurde avait dû quitter son refuge syrien et, à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, s’était fait cueillir quelques mois plus tard par les services turcs à l’ambassade de Grèce au Kenya. Si elle est préise au sérieux, la perspective d’une invasion armée turque avec le soutien occidental pourrait bien faire plier Damas.
Mais l’État syrien peut encore compter sur le soutien du vieil ami russe. Le 17 novembre le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov accusait l’opposition et les ingérences étrangères de faire basculer le pays dans la guerre civile. Le 18 novembre, une agence de presse syrienne, relayée par le site du quotidien israélien Haaretz, annonçait l’arrivée de bâtiments russes au large de la Syrie (non officiellement confirmé le 19 novembre). La Russie, qui possède sur la côte, à Tartous, sa seule base navale dans les mers chaudes, entendrait-elle renouer avec la vieille diplomatie de la canonnière pour intimider les puissances hostiles au gouvernement syrien ? La Turquie aurait-elle trouvé, avec la crise syrienne, l’occasion de mettre en œuvre le néo-ottomanisme qu’on lui prête ? Questions pour l’instant sans réponse…
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