Mauritanie : les jeunes du 25 février décidés à « se positionner sur l’échiquier politique »

En écho au Printemps arabe, la Mauritanie a connu elle aussi à partir de février 2011 un mouvement de contestation porté par une partie de la jeunesse en quête de justice sociale. Entretien avec Cheikh Ould Jiddou, l’un des principaux représentants de la Coordination de la jeunesse du 25 février.

Cheikh Ould Jiddou, l’un des représentants de la Coordination de la jeunesse du 25 février. © DR

Cheikh Ould Jiddou, l’un des représentants de la Coordination de la jeunesse du 25 février. © DR

Publié le 8 novembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Le vent de liberté du Printemps arabe souffle aussi en Mauritanie depuis février 2011. Pacifique les deux premiers mois, la Coordination de la jeunesse du 25 février s’était radicalisée en appelant à la démission du chef de l’État Mohamed Ould Abdelaziz. Depuis, quelques arrestations et tentatives de récupérations politiques plus tard, le dialogue s’est rétabli entre les jeunes manifestants et le pouvoir en août lorsque la Coordination a été reçue par « Aziz ». Aujourd’hui, selon Cheick Ould Jiddou, l’un des principaux représentants du mouvement, les militants réfléchiraient à se structurer politiquement. Entretien.

Jeuneafrique.com : La dernière manifestation a eu lieu le 25 avril. Pourquoi n’y en a-t-il pas eu depuis ?

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Cheikh Ould Jiddou : Juste avant le 25 avril, deux tendances composaient les manifestations : celle de la Coordination de la jeunesse du 25 février – indépendante des partis politiques – et celle des membres de partis politiques de l’opposition, surtout des islamistes.

La dernière manifestation, le 25 avril, a été la plus suivie. L’axe principal de Nouakchott a même été bloqué ! Ce jour-là j’ai été arrêté, avec d’autres personnes. Parmi celles-ci, il n’y avait aucun membre des partis politiques. Or, des députés de l’opposition ont tenté d’instrumentaliser le mouvement en faisant circuler une fausse liste de personnes arrêtées connues pour être membres d’instances politiques. À notre libération, au bout de 72 heures, nous avons joué cartes sur table avec ces personnes et nous nous sommes séparés. Lorsque nous avons continué à manifester dans les quartiers, les Mauritaniens nous ont d’ailleurs confié ne plus faire confiance aux partis politiques.

La jeunesse mauritanienne a pris conscience de la nécessité de s’impliquer en politique et d’en devenir acteur.

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Vous aviez déclaré en août, peu après avoir été reçu par le président Mohamed Ould Abdelaziz, réfléchir à la création d’un mouvement politique. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Nous sommes toujours décidés à créer une formation politique ou à adhérer à une formation politique jeune. Il n’est plus question pour nous de continuer dans les partis traditionnels qui ne nous ont pas du tout servi ces dernières années. Nous avons réalisé qu’il est désormais temps de prendre en main notre destin. Alors oui, nous sommes décidés à nous positionner sur l’échiquier politique. L’idée n’est pas encore tout à fait mûre, mais les trois derniers mois nous ont permis d’y réfléchir.

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Quelles sont vos pistes de réflexion ?

Les avis divergent. La première option serait de créer un parti politique de centre, qui n’ait à s’identifier ni dans l’opposition, ni dans la majorité. Dans la mesure où il y a eu un parti de jeunes dans la majorité, la deuxième option serait d’en créer un dans l’opposition, qui servirait aussi à renouveler la classe politique en son sein. Enfin, certains disent qu’il faut accompagner les résultats politiques du "dialogue national" qui coïncident avec nos doléances et donner à ce gouvernement une période de grâce.

Justement, êtes-vous entièrement satisfaits par l’accord sur les réformes constitutionnelles du 19 octobre qui a scellé la fin du "dialogue national" ?

L’axe politique de nos revendications est à 90% satisfait, mais nous continuons à suivre avec intérêt la mise en œuvre de ces propositions. Sur le plan économique et social, le président Mohamed Ould Abdelaziz a reconnu, lorsque nous l’avons rencontré, que ses priorités pendant les deux premières années de son mandat étaient surtout sécuritaires. Dans la mesure où nos frontières sont désormais prises en charge, il peut désormais s’atteler à ces dernières réformes. D’ailleurs, certaines de nos doléances, telles que l’emploi-jeune, la lutte contre la pauvreté ou la justice sociale figurent dans son programme.

Les manifestations du 25 février ont-elles contribué au réveil d’une conscience politique chez les jeunes Mauritaniens ?

C’est certain, mais ils ont également été boostés par les manifestations de jeunes en Tunisie et en Égypte, qui ont marqué le monde entier. La jeunesse mauritanienne a pris conscience de la nécessité de s’impliquer en politique et d’en devenir acteur. Les différentes mouvances ont été reçues par le chef de l’État. Il leur a dit que la Mauritanie a besoin d’eux et les a encouragés à s’impliquer davantage, à mesure que les élections approchent.

Pourtant, le mouvement n’a pas le même impact en Mauritanie qu’en Tunisie, en Égypte ou même en Europe.

En Mauritanie, il y a deux jeunesses : la première, elle est contestatrice et la deuxième, que j’appelle « conformiste », est avec le pouvoir. Immédiatement, certains lobbies dans les hautes sphères de l’État ont essayé d’instrumentaliser ces mouvances de jeunes. Le renouvellement de la classe politique ne se fait donc pas de manière indépendante et malheureusement, certains, mais pas tous, ont accepté cela.

Qu’est-ce qui manque aujourd’hui à la jeunesse mauritanienne ?

D’abord, la maturité politique. Ils n’ont jamais été activistes politiques et n’ont jamais milité que dans les partis-État. De plus, ils n’ont aucune formation politique sur le terrain, ni revendications concrètes. Par exemple, le président de la République Mohamed Ould Abdelaziz a reçu l’une de ses mouvances. Cette dernière, pour parler de ses motivations, a cité le Croissant-rouge mauritanien ! C’est exemplaire du fait qu’ils n’osent pas se positionner sur les questions vraiment importantes, de peur d’être mal compris ou de faire grincer des dents. Mais, en politique, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

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Recueillis par Justine Spiegel, envoyée spéciale à Nouakchott

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