Moussa Khedimellah : « On assiste à une réelle stigmatisation des musulmans en France »

Selon l’Observatoire des actes islamophobes du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui se fonde sur des chiffres du ministère français de l’Intérieur, le nombre d’actes islamophobes a augmenté de 22% au cours des neuf premiers mois de 2011 dans l’Hexagone. Le sociologue spécialiste de l’islam en Europe Moussa Khedimellah, chercheur associé au CNRS, analyse pour jeuneafrique.com ce phénomène inquiétant.

Tombes musulmanes profannées dans un cimetière en France, à Ablain-Saint-Nazaire, en 2008. © AFP

Tombes musulmanes profannées dans un cimetière en France, à Ablain-Saint-Nazaire, en 2008. © AFP

Publié le 4 novembre 2011 Lecture : 3 minutes.

Jeuneafrique.com : Dans son rapport, le Conseil français du culte musulman (CFCM) annonce une augmentation des actes islamophobes de 22 % entre janvier et septembre 2011. Comment expliquer ce phénomène ?

Moussa Khedimellah (en photo ci-dessous, © D.R.) : Il y a plusieurs paramètres à prendre en compte. D’un côté, nous assistons depuis les années 1990 à une constante augmentation des actes à caractère raciste dirigés contre la population musulmane. La crise économique et le contexte international ont alimenté l’islamophobie partout en Europe, et donc en France, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. Et il me semble que cette islamophobie ne va pas cesser de croître.

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Ce que l’on constate aussi, depuis une vingtaine d’années, c’est l’abaissement du seuil de tolérance à la violence chez les musulmans. Alors que certains actes pouvaient être perçus par les primo-migrants comme quelque chose allant de soi – se faire traiter de « bougnoul » dans la rue par exemple -, la communauté musulmane, aujourd’hui à 50% française et souvent issue des classes moyennes et éduquée, ne laisse plus passer cela. Par conséquent on enregistre d’avantage de plaintes contre des actes islamophobes que par le passé.

Cela montre un phénomène de conscientisation de l’islam en tant que groupe social, qui a des droits et des devoirs. Depuis deux ou trois ans, il y a aussi une prise de conscience publique, notamment grâce à cet observatoire du CFCM, qui aide à structurer le dépôt de la plainte, mais aussi grâce à l’existence du comité consultatif sur l’islamophobie en France, qui publie chaque année un rapport sur ce thème.

Mais comment expliquer la poussée de l’islamophobie ces dix derniers mois ?

L’histoire se répète : lors des graves crises économiques et sociales, il faut toujours trouver un bouc émissaire.

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En ce qui concerne les derniers mois dont il est question dans le rapport, plusieurs événements ont plongé la France dans une ambiance électrique. Nous arrivons à des élections très importantes. Les primaires socialistes viennent tout juste d’avoir lieu. Des débats ont aussi attisé le feu, comme celui concernant le port du voile intégral, ou celui proposé par Jean-François Copé sur les religions et la laïcité, qui a finalement été un flop. On assiste à une réelle stigmatisation des musulmans, assimilés à des islamistes par une partie de la population. L’histoire se répète : lors des graves crises économiques et sociales, il faut toujours trouver un bouc émissaire.

Les chiffres du CFCM se basent sur les dépôts de plainte – 115 depuis le début de l’année. Les actes islamophobes sont-ils sous-estimés ?

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Les dépôts de plaintes sont ceux de musulmans issus de la classe moyenne vivant dans les grandes métropoles, environ 30 à 40% des adeptes de l’islam en France. Mais un second groupe, dont font partie de nombreux étrangers, ne porte jamais plainte. On peut ainsi penser que les actes islamophobes sont beaucoup plus nombreux.

Y-a-t-il un manque de volonté politique dans la lutte contre l’islamophobie ?

Il y a eu une phrase de Nicolas Sarkozy, politiquement forte : « L’antisémitisme et l’islamophobie seront condamnés avec la même sévérité », avait-il dit en janvier 2009. Mais dans les faits, il y a deux poids deux mesures. La communauté musulmane attend aujourd’hui des gestes de la part de ses dirigeants. Lorsqu’il y a des actes antisémites, souvent, un membre du gouvernement se déplace, alors que ce n’est jamais le cas quand il s’agit d’un acte islamophobe.

Peut-on envisager un changement si la gauche venait à prendre le pouvoir en 2012 ?

La gauche est historiquement plus proches des immigrés que la droite. En ce qui concerne l’exercice du pouvoir, la réalité démontre le contraire : aujourd’hui, seule la droite à réussi à imposer au gouvernement une diversité, avec Rachida Dati ou Rama Yade par exemple. Le Parti socialiste doit maintenant démontrer qu’il prend en compte les minorités. Il semble que François Hollande est assez sensible à ces questions, il était notamment présent lors des commémorations du massacre des Algériens du 17 octobre 1961. Bien sur, cet acte entrait dans une logique de campagne électorale, mais comme ce sont des engagements qu’il avait pris avant les primaires socialistes, on peut espérer qu’ils seront suivis d’effets si la gauche venait à remporter l’élection présidentielle.

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Propos recueillis par Camille Dubruelh

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