Biennale africaine de la photographie : Omar Victor Diop, l’Afrofuturiste
Le jeune Sénégalais Omar Victor Diop s’est fait remarquer aux 9e Rencontres de Bamako, biennale africaine de la photographie organisée par le ministère de la Culture du Mali en partenariat avec l’Institut Français (et Jeune Afrique).
Photographie : « Afrotopia » prend ses quartiers à Bamako
La 11e édition des Rencontres de Bamako, le rendez-vous incontournable de la photographie sur le continent, se tient du 2 décembre 2017 au 31 janvier 2018. Un événement organisé par l’Institut français, le ministère malien de la Culture, en partenariat avec Jeune Afrique.
Sur sa première carte de visite, très sérieuse, il y a écrit : Omar Victor Diop, chargé d’affaires institutionnelles et réglementaires, British American Tobacco, Dakar. Sur sa seconde carte de visite, beaucoup plus colorée, on peut lire : V!KTOR, photographer. Agé d’à peine 31 ans, le jeune Sénégalais mène de front sa carrière dans un grande entreprise et son travail artistique, passant de longues nuits les yeux rivés sur son ordinateur portable, perdu dans les méandres du logiciel Photoshop.
En matière de création photographique, V!ktor est un autodidacte doué. La preuve : son premier travail a été sélectionné pour l’exposition panafricaine des 9e Rencontres de Bamako qui se tiennent au Mali jusqu’au 1er janvier 2012. Afin d’illustrer le thème de cette édition, « Pour un monde durable », Diop a choisi de se projeter une centaine d’années en avant avec une série d’images intitulée « Fashion 2112, l’élégance du XXIIe siècle ». Bourrés d’humour et d’optimisme, ses clichés présentent des femmes habillées d’élégants rebuts colorés.
Érotisme délicat, message à peine suggéré : l’une porte une jupe de bouteilles en plastique et un bustier de carton froissé (voir ci-dessous), l’autre une cape de papier recyclé pliée en accordéon… « La photo est soit un outil de témoignage, soit un moyen d’inviter les gens à rêver, dit l’artiste. J’ai choisi la seconde option. La réalité est assez dure et il y a déjà beaucoup de gens qui la montrent. En revanche, il y a un vrai déficit quand il s’agit d’inviter les gens à se projeter dans le futur. »
"Kraft"
© Omar Victor Diop
"Petit colibri"
Pour réaliser ses prises de vue en studio, Omar Victor Diop bricole lui même les vêtements dont il affuble ses modèles. Une habitude qui ne date pas d’hier : « Enfant, déjà, j’étais très bricoleur et je modifiais des habits pour leur ajouter une touche personnelle. » Mais s’il a toujours été l’artiste de la famille, le « petit colibri de la maison » qui chante tout le temps, le « petit dernier » d’une fratrie de six n’a pas fait le choix d’études artistiques. Issu de la classe moyenne sénégalaise – mère juriste, père expert comptable – il dit avoir « bénéficié de ce qui se faisait de mieux en terme d’éducation au Sénégal ». Résultat : une maîtrise de finances et un mastère en gestion des projets internationaux à Sup de Co Paris.
Immédiatement rentré au Sénégal après ce passage estudiantin par la France en 2004-2005, il enchaîne sur un programme de formation proposé par la British American Tobacco et, une fois embauché, part vivre au Kenya (Nairobi) puis au Nigeria (Lagos). Quittant le domaine de la finance pour celui, tout de même plus créatif, de la communication, il découvre les logiciels Powerpoint et Photoshop et se laisse aller à une grande inventivité visuelle dans le cadre assez strict de son travail. De retour du Nigeria, en avril 2009, il achète son premier « boîtier », un reflex numérique Nikon. « Cela a été un coup de foudre, le manuel d’instructions est devenu une sorte de bible, se souvient-il. C’est comme si je découvrais une baguette magique et tout ce que je pouvais faire avec. » Enfin, ne versons pas dans le conte de fée : combien de fois ne s’est-il pas arraché les cheveux en tentant de dompter Photoshop ?!
"Soif"
© Omar Victor Diop
Aspect expérimental
Ses premiers sujets, réalisés le dimanche, portent sur des paysages ou sur l’architecture de Dakar et le legs toujours visible du colon. Puis, un jour, il s’amuse à habiller un modèle avec ses créations vestimentaires loufoques… Et quand il tombe sur l’appel à candidature des Rencontres de Bamako, il a déjà en tête un projet bien défini qu’il s’empresse de mettre en œuvre. « Certains vêtements sont prêts avant la séance photo, mais d’autres sont créés directement sur le mannequin, explique-t-il. J’aime beaucoup cet aspect expérimental. Dans mes travaux à venir, je voudrais conserver cette dimension qui relève de la performance. » Une fois les images prises, il les passe longuement à la moulinette de l’ordinateur. « L’objectif est de communiquer et l’on peut rendre les choses plus ludiques avec une bonne chromie », confie-t-il avant d’avouer qu’il songe à se mettre à la vidéo, qu’il en a même déjà réalisée une courte…
Dans le paysage de la photographie africaine, le travail de Diop tranche par sa légèreté, mais aussi par des codes graphiques qui rappellent parfois ceux de la publicité. Le jeune homme, qui fournit aussi des images commerciales aux entreprises, ne cache pas sa volonté de séduire le plus grand nombre. « Je voudrais que mes photos se retrouvent dans un manuel scolaire sur les questions d’environnement. Je veux parler à tout le monde, pas seulement à une élite. » Et, avec un sourire qui en dit long, il annonce : « J’ai maintenant un gros projet d’exposition à Dakar. J’espère le faire financer par les entreprises qui polluent le plus ! » En voilà un qui a bien compris comment fonctionne le XXIe siècle et qui, sans doute, saura se tenir en équilibre sur cette corde où évoluent les artistes – entre les exigences de la création et les chausse-trappes du marché de l’art.
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Par Nicolas Michel, envoyé spécial à Bamako
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