Mali : pourquoi une nouvelle rébellion touarègue est sur le point d’éclater
Après la chute de l’ex-« Guide » libyen Mouammar Kadhafi, les combattants touaregs qui le soutenaient sont de retour dans leurs pays d’origine. Mais dans le nord du Mali, les rivalités tribales alimentées par Bamako risquent de nouveau de dégénérer en une rébellion contre l’État.
Le 16 octobre, plusieurs dizaines de véhicules entrent au Mali en provenance de Libye. À leur bord, plus de 400 combattants touaregs des tribu Ifoghas, Chamanamasse et Imghad. Aussitôt, une cérémonie d’accueil est organisée pour le mardi 18 octobre sous les auspices du gouverneur de la région de Kidal, le colonel Major Salifou Koné.
Le jour dit, à Tacalotte (35 km au sud de la ville de Kidal), des combattants arrivent en une longue file de pick-up armés. Seuls ceux de la tribu Imghad ont répondu favorablement à l’invitation des autorités maliennes. Leur commandant, le colonel Mohamed Ag Bachir (en photo ci-dessous, © Baba Ahmed) explique : « Nous sommes à la disposition de notre pays, dans la paix. Parmi nous, il y a des gens qui ont passé trente ans dans l’armée libyenne et nous ne connaissons pas d’autre métier que celui des armes ».
Menaces voilées
Le colonel major touareg Elhadji Gamou de l’armée malienne, le principal organisateur de la rencontre, prend la mesure de la situation. « Ces combattants ont voulu être avec l’État. Ce sont nos enfants qui n’ont pas voulu renier notre pays et je suis sûr que le président de la République va tout faire pour les encourager », affirme-t-il. Avant d’ajouter : « Le Mali est un pays de droit et de dialogue. Toute personne qui déclare la guerre au Mali nous la déclare à nous aussi, et nous défendrons notre pays à tout prix ». La menace est à peine voilée. Elle s’adresse aux combattants des tribus Ifoghas et Chamanamasse qui ont décliné l’invitation, avant de se retrancher dans les collines du Nord-Est de Kidal.
« Les Ifoghas et les Chamanamasse sont des alliés naturels et ils n’accepteront jamais de se placer sous la tutelle du colonel major Elhadji Gamou de la tribu Imghad », analyse un notable du nord du Mali à Bamako. Pour y voir clair, un bref retour en arrière s’impose.
En 2006, lorsque rébellion touareg reprend sous la houlette des tribus Ifoghas,Taghatmalate, Idnan… Koulouba s’appuie sur les Imghad pour mater le mouvement. Puis, en 2009, les bases du chef rebelle Ibrahim Ag Bahanga (de la tribu Ifoghas au sens large) sont détruites par le colonel Elhadji Gamou et sa milice nommée « Delta », constituée de jeunes Touaregs de la tribu Imghad. Quelques mois plus tard, Elhadji Gamou est nommé chef d’état-major adjoint de la présidence et sa milice intégrait l’armée régulière.
Lobby des Imghad
Enfin, en 2010, c’était au tour du député touareg de la même tribu des Imghad, Assarid Ag Imbarcaouane, de soutenir le président Amadou Toumani Touré au Parlement européen pour l’obtention du financement du « PSPSDN » (Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement au Nord Mali), un projet de 32 milliards de F CFA pour lutter contre la pauvreté au nord du Mali et une de ses conséquences : l’implantation d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). « Depuis lors, il s’est créé un véritable lobby de cadres hauts placés appartenant à la tribu Imghad », explique un autre notable du nord du Mali, à Bamako.
Conséquence : dans l’Adrar des Ifoghas, « le multipartisme cède la place au tribalisme », déplore l’ancien gouverneur de Kidal Eghlass Ag Oufène à Kidal. Car la société kel tamasheq (touareg en général) est très conservatrice. Traditionnellement, la chefferie appartenait à la tribu des Ifoghas et leurs alliés, des tribus Chamanamasse, Idnan… Qui sont aujourd’hui détrônées par Koulouba pour s’être rebellées contre Bamako. Et celles-ci n’entendent pas faciliter la tâche du pouvoir central dans sa volonté de stabiliser un Nord fragilisé par la guerre libyenne.
L’action de deux groupes touaregs contre l’État malien est imminente, selon plusieurs notables du nord du Mali, à Bamako.
"Tribu cadette"
« Pour des raisons historiques, culturelles et sociales, les Ifoghas n’acceptent pas de composer avec les Imghad, considérés comme une tribu cadette », précise le même notable. Les combattants venus de la Libye sont donc divisés en trois groupes aujourd’hui. Celui du lieutenant-colonel Akaji Ag Albachar (de la tribu Ichalane-harane, alliée aux Ifoghas), qui a rejoint les combattants de feu Ibrahim Ag Bahanga à In-Assalek. Celui de Sidilama Ag Imi Kal, composé des tribus Ifoghas et Chamanamasse, installé sur le site de Tanaynayte à 40 km au Nord de Kidal. Et le troisième, dirigé par le colonel Mohamed Ag Bachir de la tribu Imghad, basé à Tacalotte. Si ce dernier ne souhaite pas s’en prendre aux autorités maliennes, l’action des deux autres groupes est imminente selon plusieurs notables du nord du Mali à Bamako.
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Par Baba Ahmed, envoyé spécial à Kidal
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