Rodolphe Saadé : « Nous voulons à tout prix grandir avec l’Afrique »

Le continent est plus que jamais dans le viseur de CMA CGM. Pour s’y imposer, l’armateur français noue des alliances avec ses concurrents en mer, sans négliger le versant terrestre.

Né en 1970 au Liban, Rodolphe Saadé devient directeur général délégué de CMA CGM en 2010. © Thomas Vollaire/JA

Né en 1970 au Liban, Rodolphe Saadé devient directeur général délégué de CMA CGM en 2010. © Thomas Vollaire/JA

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Publié le 6 août 2013 Lecture : 5 minutes.

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Transport maritime : ports à prendre

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Entre la réception de ses trois premiers porte-conteneurs géants, l’arrivée dans son capital du Fonds stratégique d’investissement français, ses alliances passées sur mer avec les plus grands armateurs et sur terre avec le manutentionnaire China Merchants Holdings, CMA CGM n’a cessé de faire parler de lui ces derniers mois. Alors que l’ensemble du secteur fait face à un ralentissement de ses activités, la compagnie maritime française maintient le cap et place l’Afrique au coeur de son développement. Rodolphe Saadé, son directeur général délégué, revient sur la stratégie du troisième transporteur mondial de conteneurs.

Propos recueillis par Olivier Caslin

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Jeune Afrique : Le Fonds monétaire international vient de réduire ses prévisions de croissance pour la Chine, partenaire commercial incontournable de l’Afrique. Vous qui êtes présents des deux côtés de la chaîne de transport, avez-vous constaté une baisse d’activité ?

Rodolphe Saadé : Pour l’instant, la croissance chinoise reste positive, et l’Afrique continue d’importer massivement depuis la Chine. Il n’y a donc pas de motif d’inquiétude dans l’immédiat..

La massification des échanges, illustrée par la mise en ligne récente de vos super-porte-conteneurs, est à l’ordre du jour pour desservir la plupart des continents. L’Afrique suit-elle cette tendance ?

Le port d’Abidjan a choisi Bolloré, soit. Maintenant, il faut tourner la page.

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Les plus gros navires qui travaillent aujourd’hui sur le continent sont de classe Africamax, c’est-à-dire d’une capacité de 4 000 à 4 500 EVP [équivalents vingt pieds], mais les nombreux projets de plateformes de transbordement lancés ces derniers temps doivent justement permettre à l’Afrique de recevoir des navires de plus grande taille. Il est évident que nous ne verrons pas des porte-conteneurs de 16 000 EVP tels que le Marco Polo faire escale en Afrique subsaharienne, comme c’est le cas en Europe et en Asie. En revanche, il est tout à fait envisageable de voir des ports en eau profonde traiter des navires de 8 000 à 9 000 EVP, peut-être même dès 2014 ou 2015.

Il y a de plus en plus de compagnies, avec des navires aux capacités toujours plus importantes, mais les taux de fret sont très faibles… Comment les armateurs font-ils pour continuer à gagner de l’argent ?

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Notre politique a toujours été très claire. Pour offrir la meilleure qualité de service et bénéficier d’économies d’échelle, nous devons mettre en ligne les navires les plus gros possibles, notamment sur les autoroutes maritimes entre l’Asie et l’Europe, qui sont aujourd’hui des marchés matures avec de très faibles taux de croissance. Comme nous sommes dans une période où les volumes à transporter ne sont peut-être plus aussi importants que dans un passé récent, il est difficile de déployer des navires de grande taille en les opérant seul. La solution passe donc par la mise en place d’alliances entre les compagnies, comme CMA CGM l’a fait en juin avec Maersk et MSC [Mediterranean Shipping Company].

Avec l’arrivée de compagnies asiatiques, l’axe entre l’Afrique et l’Asie est de plus en plus encombré. Comment CMA CGM se démarque-t-il de cette concurrence ?

L’arrivée de ces nouveaux concurrents en Afrique est un motif de préoccupation pour nous. Au-delà du service maritime, ce qui doit faire la force de CMA CGM, c’est sa présence sur le versant terrestre. Nous disposons d’agences dans la plupart des pays africains, qui nous apportent une connaissance profonde du terrain pour être en mesure d’offrir un service de qualité à nos clients. Le rachat de Delmas en 2005 a également contribué à renforcer notre image d’expert de l’Afrique.

Vous vous appuyez aussi sur les réseaux portuaires et logistiques de Bolloré Africa Logistics [BAL]. Quelles sont vos relations avec ce groupe ?

Elles sont très bonnes. BAL est en effet l’un des partenaires de CMA CGM en Afrique, où nous ne faisons pas les mêmes métiers. Bolloré s’occupe des terminaux et nous nous occupons des navires. Nous travaillons ensemble, même si cela ne nous empêche pas de réfléchir de notre côté à développer nos activités terrestres. Le projet que nous avions sur São Tomé e Príncipe a été abandonné au vu des montants importants en jeu. Par contre, nous sommes toujours en discussion avec plusieurs partenaires pour développer des plateformes de transbordement en Afrique de l’Ouest. Un de nos projets est particulièrement bien avancé, même s’il est encore trop tôt pour en parler. Nous espérons pouvoir en dire plus très prochainement.

Est-ce justement pour vous développer sur terre que vous avez passé cette alliance avec China Merchants Holdings, qui détient depuis janvier 49 % de Terminal Link, votre filiale portuaire ?

Avec ce partenariat, nous voulons développer nos activités sur les terminaux chinois et africains, mais également un peu partout à travers le monde. Nous pouvons dorénavant nous appuyer sur un partenaire de réputation internationale présent dans les plus grands ports.

Dans cette optique, le dossier du port d’Abidjan et de la mise en concession de son deuxième terminal à conteneurs [TC2] était donc très important pour vous…

Oui, car la Côte d’Ivoire est en plein développement, et le terminal d’Abidjan est particulièrement intéressant : il permet de traiter à la fois des opérations de transbordement et des trafics locaux. Tout ce que nous espérons, dorénavant, c’est que le TC2 voie le jour pour que nous puissions rapidement opérer sur ce terminal.

Comment jugez-vous l’ensemble du processus de mise en concession de ce TC2 ?

Nous avons été impressionnés par la rapidité avec laquelle la direction portuaire a mis en place ce processus. Ce n’était pas gagné d’avance et cela démontre la volonté ivoirienne de maintenir la position du port d’Abidjan. Les autorités ont fait leur travail comme elles devaient le faire. Elles ont choisi le groupe Bolloré, soit. Il faut tourner la page et passer à autre chose.

Lire aussi :

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Port d’Abidjan : CMA CGM reconnaît la victoire de Bolloré
CMA CGM s’allie avec China Merchants Holdings

Que répondez-vous à ceux qui craignent une explosion des coûts portuaires à Abidjan après que les deux terminaux ont été confiés au même opérateur ?

Que nous proposions une alternative qui n’a pas été retenue.

Que pensez-vous de l’évolution suivie par les terminaux africains depuis leur mise en concession ces dernières années ?

Il y a très certainement eu une amélioration dans les ports. Mais comme certains armateurs, notamment asiatiques, ajoutent des capacités supplémentaires, les problèmes de congestion n’ont pas été réglés pour autant. Le renforcement de la qualité des installations portuaires a néanmoins contribué à réduire les difficultés dans certains cas, comme en Angola où nos navires peuvent être traités dès leur arrivée.

Comment voyez-vous l’avenir du secteur maritime en Afrique ?

D’une façon très positive. L’Afrique est en plein développement, avec de vastes projets qui doivent lui permettre de devenir un pôle de croissance important pour un armateur comme nous. La seule difficulté aujourd’hui, c’est que cette croissance attire énormément d’opérateurs qui distordent encore davantage l’offre par rapport à la demande. Mais de manière générale, l’Afrique a un très fort potentiel, et CMA CGM veut à tout prix grandir avec elle.

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