Dossier transport maritime : les ports africains passent au privé

En l’espace d’une décennie, la plupart des terminaux du continent sont passés sous le contrôle d’opérateurs privés. Parmi ceux-ci, le français Bolloré s’est taillé la part du lion, notamment en Afrique de l’Ouest.

Le terminal à conteneurs de Doraleh, à Djibouti, exploité par Dubai Ports World. © Vincent Fournier/JA

Le terminal à conteneurs de Doraleh, à Djibouti, exploité par Dubai Ports World. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 9 août 2013 Lecture : 6 minutes.

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Transport maritime : ports à prendre

Sommaire

En 2004, à quelques mois d’intervalle, les directions portuaires d’Abidjan et de Douala confiaient la gestion de leurs terminaux à conteneurs au groupement constitué par Bolloré Africa Logistics (BAL) et APM Terminals (APMT). En mars dernier, ce sont les mêmes opérateurs qui ont remporté la concession du deuxième terminal (TC2) prévu dans le port d’Abidjan. Entre-temps, la très grande majorité des ports africains spécialisés dans les trafics conteneurisés sont passés les uns après les autres dans le giron du secteur privé, comme avant eux ceux des autres continents.

En libéralisant les ports britanniques au début des années 1980 pour casser l’influence des syndicats de dockers, Margaret Thatcher ne soupçonnait certainement pas qu’elle lançait une révolution culturelle et structurelle qui allait peu à peu s’étendre aux ports du monde entier. Faute de maturité politique et de cadre institutionnel adapté, l’Afrique a commencé à suivre la tendance lors de la dernière décennie, avec vingt ans de retard. Aujourd’hui, en dehors des exceptions sud-africaine (avec les contraintes sociales héritées de la fin de l’apartheid) et kényane (essais ratés pour cause de malversations lors des appels d’offres), tous les principaux ports à conteneurs du continent sont gérés via un partenariat public-privé selon des modalités définies dans les grandes lignes par la Banque mondiale.

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Urgence

« Nous ne pouvons pas parler de privatisation des ports en Afrique. Ce sont des infrastructures beaucoup trop stratégiques pour que les États s’en désengagent complètement », affirme Martin Ndendé, spécialiste en droit maritime à l’université de Nantes (France). « L’objectif n’avait rien d’idéologique, il s’agissait simplement de créer les meilleurs outils de gestion portuaire possible », explique un expert de la Banque mondiale, à Washington. L’urgence était surtout de mettre un terme à un monopole public devenu aussi obsolète que les ports qu’il gérait, en attirant les financements privés capables de renforcer l’efficacité des services tout en assurant l’entretien et le renouvellement des équipements. « À l’époque, les capacités portuaires étaient clairement insuffisantes. La manutention peu mécanisée engendrait une productivité très faible, au moment même où la conteneurisation des trafics se renforçait, exigeant des investissements lourds que les autorités portuaires n’avaient pas les moyens de réaliser », se souvient Éric Melet, directeur général développement et concessions chez BAL.

Même s’il n’existe pas de modèle type du fait des niveaux de développement disparates et des particularités historiques de chaque pays, le schéma généralement adopté laisse la gestion du foncier, des infrastructures et les fonctions de régulation à l’autorité publique, qui se retire des opérations menées sur les terminaux pour les transférer à des acteurs privés dans le cadre de concessions limitées dans le temps. « À l’issue du partenariat public-privé, l’État reste propriétaire des superstructures [portiques à conteneurs, grues de quai…] construites et financées par l’opérateur privé », précise Éric Melet. Résultat : les ports ont pu en quelques années rattraper les normes internationales pour améliorer leur productivité, leur rentabilité et leur compétitivité.

Flambant neufs

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« Même s’ils restent supérieurs à la moyenne internationale, les coûts de passage portuaires ont pu être comprimés, permettant aux exportations africaines d’être plus concurrentielles sur le marché mondial », constate Yann Alix, délégué général de la Fondation Sefacil, spécialisée dans les questions de transport et de logistique. En plus de moderniser les terminaux existants, l’injection de capitaux privés a permis de faire sortir du sable des ports flambant neufs à Tanger ou à Djibouti, le long des principales routes maritimes qui bordent le continent et où l’importance des volumes justifie la création de hubs portuaires, comme prochainement à Badagry (Nigeria) ou à Lamu (Kenya).

De Dakar à Pointe-Noire en passant par Abidjan, Lomé, Cotonou et les ports des différents pays anglophones, « l’Afrique de lOuest et l’Afrique centrale sont aujourd’hui les plus avancées en matière de mise en concession des terminaux à conteneurs », observe Yann Alix. Le Nigeria a certes un peu tardé à passer à l’acte mais, depuis l’adoption en 2005 des réformes institutionnelles nécessaires pour faire face à la croissance exponentielle de ses trafics conteneurisés – censés passer, selon les prévisions, de moins de 2 millions d’équivalents vingt pieds (EVP, unité de mesure de volume de conteneurs représentant environ 38,5 m3) à près de 10 millions dans dix ans -, le pays a rattrapé son retard. Au point de concentrer 55 % de tous les investissements privés réalisés dans les ports d’Afrique subsaharienne, selon une étude de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).

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Parmi les principaux groupes mondiaux, seul le singapourien PSA est absent du continent.

Course en tête

Pour beaucoup d’observateurs, si la côte ouest-africaine fait la course en tête, elle le doit en grande partie au groupe Bolloré. Car « pour développer des partenariats avec le privé, encore faut-il trouver un opérateur intéressé », rappelle la Banque mondiale. De fait, malgré les troubles politiques et les difficultés économiques qu’a pu connaître cette partie de l’Afrique, le groupe français n’a jamais lâché le continent. En quelques années, il s’est taillé un petit empire le long des côtes ouest-africaines, où il exploite une douzaine de terminaux à conteneurs. Et si ses prises de participation portuaires suscitent régulièrement la polémique, « il a su saisir les opportunités qui lui ont permis de devenir un opérateur incontournable, encourageant au passage les États à franchir le pas de la mise en concession », estime Yann Alix.

Surtout, il a attiré dans son sillage le danois APMT. La filiale portuaire du géant des mers Maersk a longtemps été l’un des rares poids lourds de la manutention mondiale à montrer un quelconque intérêt pour un continent handicapé par la faiblesse de ses volumes de marchandises conteneurisées… avant que les taux de croissance de ces dernières années – « soutenus de manière incontestable par la modernisation des ports », selon Martin Ndendé – ne viennent changer la donne. « Nous constatons un intérêt de plus en plus marqué des grands opérateurs mondiaux », confirme Michael Luguje, secrétaire général de l’Association de gestion des ports de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Grands absents

Parmi les principaux manutentionnaires mondiaux, seul le singapourien PSA manque à l’appel, après avoir été éconduit lors de l’appel d’offres du TC2 d’Abidjan. Pendant qu’APMT multiplie les implantations en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, le hongkongais Hutchison Whampoa a débarqué à Dar es-Salaam (Tanzanie) et Alexandrie (Égypte). Quant à Dubai Ports World, il rencontre de nombreux problèmes au Sénégal, en Algérie et en Égypte, mais connaît plus de succès à Djibouti où il gère l’un des terminaux les plus performants au monde. Enfin, le philippin International Container Terminal Services Inc. (ICTSI) vient de remporter la concession de Lekki, au Nigeria. Les grands absents restent les opérateurs africains. « En dehors des pays anglophones et peut-être de Pointe-Noire, leur présence est négligeable, regrette Michael Luguje. Ils ne disposent ni des ressources financières ni du savoir-faire technique nécessaires. »

Pour être pleinement efficace, la mise en concession des terminaux à conteneurs doit encore s’accompagner d’un volet terrestre, qui continue de se faire attendre. « Avoir des ports performants, c’est bien, encore faut-il qu’ils soient correctement reliés à leur hinterland », résume un expert de la Cnuced. L’absence de transparence dans les appels d’offres est également dénoncée par la plupart des spécialistes, mais tout le monde s’accorde sur l’impact « globalement positif » de ces partenariats qui, en dix ans, auront permis de connecter les ports africains au reste du monde.

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