Baba Ahmadou Danpullo, l’empereur discret du business camerounais
Baba Ahmadou Danpullo est inconnu de ses compatriotes, et pourtant… De l’agro-industrie à la téléphonie, son empire est tentaculaire. Certains voient même en lui la première fortune du pays.
Le mois de juin aurait dû être béni pour Baba Ahmadou Danpullo. Le 25, lors d’un conseil d’administration de la Société de développement du coton (Sodecoton), l’homme d’affaires camerounais a tenté d’imposer son candidat, un ingénieur agronome attaché à la primature, comme successeur de Mohammed Iya, le directeur général, en détention depuis le 10 juin. Raté ! Le choix du gouvernement s’est arrêté sur un autre prétendant. La déception s’est aussitôt lue sur le visage des proches de Baba Ahmadou Danpullo, qui affichaient depuis le 7 juin des mines radieuses pour une tout autre raison.
Ce jour-là, le président, Paul Biya, a approuvé la convention entre l’État et l’opérateur télécoms Viettel Cameroun, mettant ainsi fin à la polémique sur le processus d’attribution de la licence, accordée en décembre 2012 mais contestée par les candidats malheureux. Avec 30 % des parts, Baba Ahmadou Danpullo est le plus gros actionnaire camerounais du troisième opérateur local de téléphonie mobile, futur concurrent des géants MTN et Orange. Selon des indiscrétions, cet anglophone originaire du nord-ouest du Cameroun aurait misé 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros) pour entrer au tour de table.
Iceberg
Car ce Peul musulman qui cultive l’allure simple du commerçant en habit traditionnel est riche, très riche. Avant son entrée dans la téléphonie mobile, il était déjà présent dans l’agro-industrie, l’immobilier, l’audiovisuel… Actionnaire de la Sodecoton, il détient également des participations dans Cameroon Tea Estates et Aéroports du Cameroun. Un empire qui ne serait que la partie visible de l’iceberg. Ses intérêts au Nigeria et en Afrique du Sud, notamment dans l’immobilier, seraient considérables.
Il est, selon moi, le Camerounais le plus riche. Il m’a même avoué avoir plus de biens au Nigeria que dans son pays.
La conviction du journaliste Guibaï Gatama, avec qui il a nourri un projet d’autobiographie aujourd’hui abandonné, est faite : « Il est, selon moi, le Camerounais le plus riche. Il m’a même avoué avoir plus de biens au Nigeria que dans son pays. » Comme de nombreux observateurs, le patron de l’hebdomadaire L’OEil du Sahel s’interroge sur l’origine et le montant de cette fortune. L’Union européenne hésite même à apporter son concours financier à la Sodecoton, du fait de l’opacité des comptes de cet actionnaire.
Inconnu de ses compatriotes, celui qui a fêté ses 60 ans l’an dernier cultive le mystère. Il partage l’essentiel de son temps entre Johannesburg et Douala, où ses apparitions publiques sont peu nombreuses. Rares sont les Camerounais qui connaissent son ranch de Ndawara, à une cinquantaine de kilomètres de Bamenda (Nord-Ouest). En fait de ranch, il s’agit plutôt d’« une ville de plus de 2 000 habitants dotée d’une seule entrée et où paissent un millier de boeufs », précise Guibaï Gatama, qui y a séjourné. « Il a tout bâti là-bas et règne en maître absolu », ajoute-t-il.
Camionneur
Amoureux de son cheptel, Danpullo accepte parfois de sortir de l’ombre pour exhiber les plus beaux spécimens de son élevage. La scène se déroule le 18 janvier 2011 lors du comice agropastoral d’Ebolowa (Sud). Paul Biya visite les stands les uns après les autres… mais évite le sien. Furieux, ce généreux donateur du parti au pouvoir se campe devant l’illustre visiteur et lui dit : « Je ne suis pas venu ici pour faire de l’argent, mais pour que tu regardes ! » Conciliant, le président fait demi-tour pour contempler les taureaux issus de Ndawara.
C’est à la fin des années 1970 que le destin de ce self-made-man prend forme. Issu d’une famille modeste, il n’est alors que camionneur et dispose çà et là de quelques échoppes… jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance de Youssoufa Daouda, le ministre de l’Économie et du Plan de l’époque. Saisi par la capacité du commerçant à mobiliser 4,5 millions de F CFA en très peu de temps, le ministre lui octroie des licences d’importation de riz et de farine. Il le met également en contact avec Sadou Hayatou, qui dirige alors la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Cameroun (Bicic, aujourd’hui disparue). « C’est ainsi qu’il a obtenu un premier prêt sans garantie de 500 millions de F CFA pour se lancer dans l’importation », explique Guibaï Gatama.
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Quelques années plus tard, sa rencontre avec Jeanne-Irène Biya lui permet de mettre un pied dans l’industrie. La première dame (décédée depuis) l’aide à acquérir les Minoteries du Cameroun, en cours de privatisation, pour un franc symbolique. Alors que la crise économique pousse nombre d’expatriés à quitter le pays, Danpullo saisit l’aubaine pour se constituer un riche patrimoine immobilier, achetant à tour de bras pour revendre plus tard. « C’est certainement le secteur qui l’a le plus enrichi, indique un ancien collaborateur. En dehors du Cameroun, il possède des immeubles en Afrique du Sud, où réside son unique fille, au Nigeria, en France et en Suisse. »
Autruches
La concurrence de plus en plus rude dans la minoterie le pousse à diversifier ses activités au cours des années 1990. La tentative de privatisation de la Sodecoton, en 1994, lui permet de donner toute la mesure de sa ruse. À travers la Société mobilière d’investissement du Cameroun (Smic), Danpullo compte acheter 48 % des actions de l’entreprise cotonnière pour 1,5 milliard de F CFA… au moment même où celle-ci s’apprête à distribuer plus de 2 milliards de F CFA de bénéfices aux détenteurs de ces parts. Pour faire passer la pilule politiquement, il prend soin de distribuer gracieusement quelques actions de la Smic à des dignitaires du Nord, zone d’intervention de la Sodecoton. Face au tollé, la présidence stoppe l’opération et charge la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures de rembourser les souscripteurs. Danpullo engage un bras de fer judiciaire avec l’État qui durera six ans et se soldera par un compromis : 11 % des parts de l’entreprise lui reviendront.
Loin d’être anecdotique, cet épisode met en lumière le goût de Baba Ahmadou Danpullo pour le rapport de force, qui le mène parfois jusqu’au procès. En octobre 2012, il a ainsi attaqué en justice le ministre des Forêts et de la Faune, coupable à ses yeux de l’avoir dessaisi de huit autruches importées – illégalement, selon le ministère – du Nigeria. Investisseur infatigable, le Camerounais poursuit dans le même temps un projet qui lui tient à coeur : construire le plus grand centre commercial du Cameroun. Le terrain, situé dans la zone industrielle de Ndokoti, à Douala, a déjà été acquis.
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