Wided Bouchamaoui : « L’État doit retrouver son autorité »
Tensions sociales, incertitudes politiques… La Tunisie est vulnérable. Pour redresser la situation économique du pays, la patronne des patrons Wided Bouchamaoui passe à l’offensive.
C’est dans un contexte particulièrement trouble que Wided Bouchamaoui a reçu Jeune Afrique au siège du patronat tunisien. Malgré une croissance de 3,6 % en 2012, l’économie tunisienne n’a pas retrouvé son niveau d’avant la révolution, et son avenir est nettement fragilisé par l’incertitude politique. En 2013, ce chiffre pourrait ne pas dépasser 2 %, selon Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale.
Dans de telles conditions, les créations d’emplois – principale revendication de la population – s’avéreront limitées, alors que le pays compte 16,5 % d’actifs au chômage, selon les statistiques datant de fin mars. Cette situation n’est pas propice à apaiser les tensions sociales et à inciter à la consommation. D’autant plus que les ménages doivent faire face à une inflation supérieure à 6 %.
Du côté des entrepreneurs, la méfiance persiste. Depuis le début de l’année, les investissements locaux n’ont pas connu d’augmentation significative (+ 23,1 % dans l’industrie, – 21 % dans les services), tandis que les investissements directs étrangers baissaient de 6,6 %, selon l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation. Fragilisée, la Tunisie est vulnérable au moindre choc extérieur. Wided Bouchamaoui – qui est à la tête de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) depuis mai 2011 – livre son point de vue sur les enjeux économiques dans le secteur privé.
Nous avons gagné en transparence dans le milieu des affaires.
Jeune Afrique : Deux ans après la révolution, l’économie tunisienne semble continuer à se dégrader. Quelles sont vos attentes pour relancer la croissance ?
Wided Bouchamaoui : Comparée à 2011, la situation s’est relativement améliorée. La Tunisie a renoué avec la croissance en 2012. En tant qu’opérateur économique, nous demandons un agenda politique clair avec la tenue des élections et la rédaction de la Constitution. Nous souhaitons collaborer au plus vite avec un gouvernement élu pour cinq ans qui définira des orientations précises pour le pays. Mais pour l’instant, aucun calendrier n’est arrêté. Nous sommes encore dans l’expectative. Malgré cette attente, nous continuons à travailler afin de maintenir une économie qui a mis tant d’années à se construire à l’aide du secteur privé.
Les dernières années de la présidence Ben Ali avaient été marquées par les détournements, la corruption, le favoritisme. Les choses ont-elles évolué ?
Tous ces problèmes ne peuvent pas être résolus en si peu de temps. Nous avons tout de même gagné plus de transparence dans le milieu des affaires. Nous ne craignons plus la mainmise de quelques personnes sur les grands projets. Toutefois, nous attendons une meilleure gouvernance. En effet, pour favoriser le développement du secteur privé, il est nécessaire de rétablir la confiance dans notre pays, d’améliorer la sécurité, de trouver une solution pour réduire le commerce informel et d’accélérer certaines réformes qui sont suspendues depuis le début de la période transitoire. L’État a donc un rôle important à jouer, il doit retrouver son autorité en appliquant les lois en vigueur.
L’économie et les entreprises ont été paralysées par de nombreuses grèves en 2011 et 2012. Depuis la signature d’un contrat social en janvier, la situation s’est-elle améliorée ?
Il y a moins de grèves par rapport aux deux années précédentes. Nos relations avec l’Union générale tunisienne du travail [UGTT] sont très bonnes. Nous essayons de discuter des problèmes potentiels en amont afin de limiter au minimum les situations de blocage.
Fondé après la révolution, l’autre syndicat patronal, la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie [Conect], est monté depuis en puissance. Cette division vous paraît-elle saine ?
Nous sommes le syndicat patronal le plus représentatif de Tunisie. Nous sommes l’interlocuteur du gouvernement et nous signons les accords sociaux. Après, si d’autres organisations émergent, je ne suis pas contre le pluralisme syndical, au contraire.
Alors que le sud du Sahara s’impose comme une zone à forte croissance, les entrepreneurs tunisiens sont encore peu nombreux à se développer dans cette zone. Pourquoi ?
Après la révolution, le règlement de la situation intérieure était prioritaire, tout comme l’envoi de signaux rassurants à l’égard de nos partenaires traditionnels européens. Mais 2014 sera consacrée à l’Afrique. Nous sommes en cours d’élaboration de notre stratégie géographique et sectorielle pour le continent. Plusieurs rencontres seront au programme.
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Au Maghreb, l’absence d’intégration est frappante. Parlez-vous à vos confrères, dirigeants des autres patronats maghrébins, pour remédier à cela ?
L’absence d’intégration régionale coûte au moins deux points de croissance par an. Malgré les contacts réguliers avec nos confrères maghrébins, les obstacles perdurent. L’absence de liberté de circulation des personnes et des marchandises est incompatible avec un marché commun.
La récente création d’un conseil maghrébin pour l’entrepreneuriat inclusif va-t-elle accélérer les choses ?
Nous l’avons fondé car nous avons diagnostiqué une forte augmentation du commerce informel dans nos différents pays. Une vigilance accrue est nécessaire pour combattre cette économie parallèle qui nuit aux entreprises maghrébines.Nous devons être tous unis pour que les dirigeants de la zone nous entendent.
La Libye semble devenir de plus en plus un relais de croissance pour les entreprises tunisiennes. Comment analysez-vous cette situation ?
La Libye est un marché légitime pour la Tunisie. Les échanges commerciaux sont assez dynamiques. En revanche, sur le plan des investissements, nous devrions être plus agressifs.
L’Europe risque d’être en récession en 2013. C’est un coup dur pour la Tunisie. Pourquoi le pays ne parvient-il pas à diversifier ses partenariats ?
L’Europe restera toujours notre premier client. Nous devons chercher d’autres secteurs dans lesquels nous sommes performants pour y accroître nos débouchés. Cela dit, nous devons bien évidemment attaquer d’autres marchés, et l’Afrique est une priorité.
Les autorités françaises prônent désormais la colocalisation entre les deux rives de la Méditerranée. Soutenez-vous cette politique ?
Oui, ce sujet a été abordé lors de la récente visite du président François Hollande. Nous recherchons évidemment des partenariats gagnant-gagnant. La Tunisie n’est pas simplement un pays où les coûts salariaux sont bas. Notre situation géographique permet également d’être un relais entre les deux continents.
Le tableau est sombre, mais si l’on tâchait d’être positif, quelle serait selon vous la principale force de l’économie tunisienne ?
Notre capital le plus important, c’est notre ressource humaine. Elle est bien formée.
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