Lac Victoria : « Le cauchemar de Darwin » et ses avatars

Sept ans après la sortie en salle du documentaire choc de Hubert Sauper, « Le cauchemar de Darwin », les révélations sur la tragédie humaine et écologique du Lac Victoria, le plus grand lac d’Afrique, sont nuancées par des scientifiques.

Un pêcheur sur l’une des rives du Lac Victoria. © Reuters

Un pêcheur sur l’une des rives du Lac Victoria. © Reuters

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 17 octobre 2011 Lecture : 3 minutes.

Un lac fangeux, des populations moribondes victimes d’un malodorant programme "poisson contre armes de guerre", un écosystème unique livré au Léviathan mercantile : en 2004, "Le cauchemar de Darwin", le documentaire primé et décrié de Hubert Sauper, a laissé du lac Victoria l’image d’un bourbier dantesque devenu le symbole nauséeux du cynisme capitaliste. Passées les polémiques qui l’ont entouré, ce spectacle manichéen mérite d’être nuancé par les constatations des savants.

Exode et adaptation

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En effet, dans les profondeurs du grand lac, les récentes découvertes dévoilent une réalité plus proche de la science fiction que du scénario militaro-alimentaire, un monde dont les révolutions jettent un suspense inattendu sur le destin du lac, de ses habitants et de ses riverains. Colonisation pacifique, invasions extra-lacustres, guerre des espèces, empoisonnement du milieu, races mutantes et revanche des résistants : la grande histoire du lac Victoria est une saga microcosmique dont le dernier épisode pourrait s’intituler « Le retour des haplochrominiens ».

Victimes de la surpêche, privés d’oxygène par la pollution et dévorés par la perche du Nil, un grand carnassier d’eau douce introduit dans les années 1950, ces petits poissons de la famille des cichlidés semblaient voués à l’extermination. En 1995, plus de 200 espèces s’étaient éteintes sur les 500 qui peuplaient le lac. Au début des années 2000, la disparition des survivants semblait inévitable lorsque les cichlidés sont revenus, comme par miracle, frétiller dans les filets des pécheurs. Médusés, les biologistes ont aussi constaté que des espèces déclarées disparues avaient survécu et ils sont allés chercher au fond des eaux les sources de ce mystère. 

Un équilibre écologique entre espèces endémiques, espèces introduites et prélèvements humains est-il possible ?

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Ce qu’ils y découvrirent accrut leur stupéfaction : les cichlidés s’étaient réfugiés dans les lieux les plus hostiles, dans les zones polluées, rares en lumière et en oxygène, où la perche était incapable de lui donner la chasse. Des mutations spectaculaires avaient accompagné cet exode : en quelques générations, leurs ouïes s’étaient agrandies pour mieux capter l’oxygène, leurs couleurs s’étaient faites plus vives dans des eaux plus troubles, leurs régimes alimentaires, leurs comportements, leurs matériels génétiques mêmes s’étaient adaptés à ce milieu toxique. Dans les eaux claires, les perches, privées de leurs proies habituelles, se sont mises à dévorer leur progéniture. La suprématie aquatique du prédateur se retournait contre lui et son succès sur les feux des grands chefs lui valait d’être péché par centaines de tonnes quotidiennement.

Ecosystème en vase clos

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Désormais, au grand dam des industriels qui ont investi dans ce trafic au milieu des années 1990, la perche disparait à son tour et, depuis son exil empoisonné, le cichlidé revient coloniser les espaces perdus et les assiettes des riverains. Champions de l’évolution, les cichlidés haplochrominiens prouvent leurs étonnantes facultés d’adaptation face aux ravages causés par le plus grand prédateur du monde vivant : l’homme moderne. Mais ce dernier est-il capable de s’adapter aussi vite aux bouleversements qu’il provoque ? La raréfaction de la perche pourrait bientôt rendre inutiles les usines construites depuis 15 ans, menaçant le quotidien de millions de gens qui vivent, directement ou indirectement, du commerce de la perche. Le cichlidé fournit une excellente farine pour l’alimentation animale, mais qui fera le pari d’investir sur une ressource susceptible de disparaître à nouveau ? Un équilibre écologique entre espèces endémiques, espèces introduites et prélèvements humains est-il possible ?

Le lac Victoria, écosystème en vase clos, montre en accéléré l’impact protéiforme de l’activité humaine sur la nature et les réponses inattendues que celle-ci peut apporter. Sa dernière répartie pourrait assécher toutes polémiques : depuis sa formation, le lac s’est vidé au moins trois fois…

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