Dette de sang
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 19 septembre 2011 Lecture : 2 minutes.
C’est une petite nouvelle qui pourrait, à condition qu’elle fasse jurisprudence, avoir de grandes conséquences. L’inverse en somme de ce scandale des mallettes de la Françafrique, lequel risque bien, une fois les scories médiatiques retombées, de déboucher sur le néant.
Le 14 septembre, un tribunal de La Haye a jugé l’État néerlandais responsable de crimes coloniaux commis il y a plus de soixante ans en Indonésie, ouvrant ainsi la voie à l’indemnisation des familles des victimes. Les faits remontent au 9 décembre 1947 : l’armée néerlandaise avait ce jour-là fait table rase d’une bourgade indépendantiste, tuant plus de 200 civils. Soutenus par leur gouvernement et plusieurs ONG, les plaignants (veuves ou descendants des victimes), mais aussi les juges qui leur ont donné raison, n’ont peut-être pas conscience d’avoir ouvert une brèche historique : pour la première fois, cette antienne lénifiante de toutes les ex-puissances coloniales, selon laquelle il faut « tourner la page » et « tirer un trait sur cette partie douloureuse de notre histoire commune » en échange d’excuses vite envolées ou de repentances à reculons, se voit juridiquement contredite.
Pour peu que leurs dirigeants, à l’instar de ceux de Djakarta, aient la volonté de les appuyer, un très vaste champ de réparations s’ouvre devant les Africains tant le siècle dernier fut sur le continent fertile en atrocités aussi « inacceptables » qu’« imprescriptibles » – pour reprendre les attendus du jugement de La Haye. De quoi encombrer les tribunaux de Paris, Londres, Bruxelles, Lisbonne ou d’ailleurs pendant des décennies. L’État français devrait ainsi répondre, entre autres forfaits, des massacres de Madagascar et de Sétif, de la répression au Cameroun, des fusillés du camp de Thiaroye, des gazés de la guerre du Rif et des forçats du Chemin de fer Congo-Océan. L’État de Grande-Bretagne serait sans nul doute condamné pour les camps de concentration des Mau Mau au Kenya, et celui du Portugal, pour avoir brûlé, en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau, un nombre incalculable de villages. Quant à la couronne belge, il lui faudrait vendre jusqu’au dernier de ses meubles pour indemniser ne serait-ce qu’une fraction des descendants de tous ceux que le roi Léopold a transformés en fantômes.
Car toutes ces victimes de la longue nuit coloniale africaine ont bien entendu des familles, des ayants droit, des enfants et petits-enfants qui seraient fondés aujourd’hui à exciper du jugement de La Haye pour déposer plainte. À l’époque où il avait l’Europe à ses pieds, c’est-à-dire hier, un certain Kadhafi avait exigé et obtenu de l’Italie berlusconienne une promesse de remboursement de cette dette de sang : 5 milliards de dollars. Mauvais exemple, dira-t-on, puisque cette somme, même convertie en investissements, n’aurait profité qu’au dictateur. Il n’empêche : le précédent néerlandais démontre que la « responsabilité de protéger » dont on nous rebat les oreilles peut aussi être rétroactive. On me dira que j’incite à ouvrir une boîte de Pandore incontrôlable. À tort. Depuis 1952, l’Allemagne a versé à Israël et aux rescapés de la Shoah près de 15 milliards d’euros à titre de compensation, ce qui n’est que justice. Justice, mais aussi rapport de force, cela va de soi.
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