Françafrique : à droite comme à gauche, Bourgi déchaîne les passions

La fracassante sortie de Robert Bourgi, avocat franco-libanais qui accuse Jacques Chirac et Dominique de Villepin d’avoir perçu environ « 20 millions de dollars » de la part de plusieurs présidents africains, a suscité lundi une onde de choc et bien des réactions. En France surtout, un peu moins sur le continent. Pour le moment.

L’avocat Robert Bourgi devant la station Europe 1 le 12 septembre 2011. © Johanna Leguerre/AFP

L’avocat Robert Bourgi devant la station Europe 1 le 12 septembre 2011. © Johanna Leguerre/AFP

Publié le 12 septembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Affaire Bourgi : tempête sur la Françafrique
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Affaire Bourgi : tempête sur la Françafrique

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Ses révélations ont fait l’effet d’une bombe. Dans une longue interview accordée au Journal du Dimanche (JDD), Me Robert Bourgi affirme – tout en assurant qu’il n’en a aucune preuve – que Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont été arrosés de millions de dollars par différents chefs d’État africains entre 1997 et 2005. Du petit commentaire assassin à l’indignation théâtrale, les réactions sont à la mesure de l’onde soulevée par le pavé jeté dans la mare françafricaine.

Dès dimanche, les principaux intéressés, Chirac et Villepin ont annoncé qu’ils allaient porter plainte en diffamation contre l’avocat. Et le soir même, sur le plateau du 20 heures de France 2, l’ancien Premier ministre a vivement réagi aux « révélations » de Robert Bourgi.

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« Les accusations qu’il porte sont graves, scandaleuses, détaillées comme tous les mauvais polars et c’est pour cela que, comme Jacques Chirac, je porterai plainte contre lui ». La veille, Dominique de Villepin avait déjà catégoriquement démenti ces allégations dans les colonnes du JDD. « Tout cela n’est que fariboles et écrans de fumée. Je n’ai jamais cessé, depuis 1993, de me mobiliser contre les réseaux de quelque nature que ce soit, en vue d’une moralisation de la vie politique dans le cadre fixé par Jacques Chirac ».

Contestations à droite

Masques africains et montre sertie de diamants

Outre des mallettes débordantes de billets, Robert Bourgi affirme avoir transporté des « cadeaux » de chefs d’État africains destinés à Jacques Chirac et à Dominique de Villepin.
« Comme le président Bongo [Omar Bongo, défunt président gabonais, NDLR] et les dirigeants africains savaient qu’il aimait l’art africain et qu’il était un admirateur » de Louis Napoléon Bonaparte, Villepin « recevait des bustes de l’empereur, des pièces rares qui concernent l’empereur Napoléon et des masques africains », a détaillé M. Bourgi sur Europe 1, ce lundi.

« Je souhaite qu’on les retrouve et d’ailleurs, il y a deux ans, il me semble que Dominique de Villepin a fait procéder à une vente », a-t-il poursuivi, insinuant que, de facto, les cadeaux concernés pourraient s’assimiler à des pots de vin.

Dans le Journal du Dimanche, l’avocat avait déjà évoqué ces fameux « cadeaux ». « Je me souviens d’un bâton de maréchal d’Empire qui avait été offert par Mobutu », défunt président zaïrois. Il s’est également souvenu d’une montre « offerte par Bongo » à Chirac « qui devait réunir environ 200 diamants. « Un objet splendide, mais difficilement portable en France », avait noté M. Bourgi… Qui connaît la valeur d’une litote.

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Dans son interview au JDD, Robert Bourgi précise avec soins que Nicolas Sarkozy et Claude Guéant n’ont jamais été concernés par ces affaires de financement illicite en provenance d’Afrique. Mais à droite, plusieurs voix s’élèvent déjà pour contester cette version.

L’ex-chiraquien Jean-François Probst a lui aussi évoqué des liens étroits entre le président actuel et l’avocat à l’origine du scandale. « Bourgi s’est dépensé sans compter pour Sarkozy auprès de nombreux chefs d’États africains lors de la présidentielle de 2007 », a-t-il accusé dans Le Parisien. Il « a refait un deal avec Omar Bongo, qui lui aurait donné – dit-on – 1 milliard de francs CFA » (environ 1,5 million d’euros), a ajouté M. Probst, grand habitué, comme Bourgi, des capitales africaines.

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Invitée de France Info lundi matin, la présidente du Front national Marine Le Pen s’est quant à elle étonnée que Robert Bourgi « ne parle pas de Nicolas Sarkozy, alors qu’il fait partie du premier cercle des proches du président ». Sous-entendu : les confidences de Bourgi sont politiquement orientées.

À gauche, l’affaire a également entrainé une cascade de réactions. François Hollande, favori des sondages pour la primaire socialiste, a demandé dimanche au Garde des sceaux l’ouverture « d’une procédure judiciaire ». « On doit savoir ce qui s’est passé pendant toutes ces années, parce que ce sont des graves infractions à la législation sur le financement des campagnes électorales et peut-être même davantage », a déclaré le député de Corrèze sur Canal +.

Je pense qu’il y a des règlements de comptes au sein de l’UMP.

Martine Aubry, premier secrétaire du PS

Sa rivale Martine Aubry a quant à elle qualifié les propos de M. Bourgi d’« extrêmement graves. (…) Mais je pense aussi qu’il y a des règlements de comptes au sein de l’UMP, a poursuivi la maire de Lille. Moi, comme toujours, j’attends les faits, j’attends la justice », a-t-elle tempéré.

"Ça pue"

Autre candidat à la primaire socialiste, Manuel Valls n’y est pas allé par quatre chemins. « Ça pue », a-t-il réagi. Le député-maire d’Evry souhaite par ailleurs la mise en place d’une « commission parlementaire » sur « les relations très particulières » entre la France et certains dirigeants africains.

Laurent Fabius a de son côté estimé que les accusations de financement occulte portées contre la présidence Chirac, constitueraient, si elles étaient vraies, « un des plus gros scandales de la droite depuis des décennies ». « La façon dont le récit est fait dans le JDD est impressionnante », a jugé l’ancien Premier ministre socialiste sur RTL.
Dans ses déclarations, Robert Bourgi pointe directement plusieurs chefs d’État africains. D’après lui, « Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville) et, bien sûr, Omar Bongo (Gabon), ont notamment versé environ 10 millions de dollars » pour la campagne présidentielle de Chirac en 2002.

Peu de réactions africaines

Le premier démenti officiel africain est venu de Dakar. « Je voudrais démentir de la manière la plus formelle ces affirmations », a déclaré Serigne Mbacké Ndiaye, porte-parole et ministre à la présidence. « Tout ce qu’il [Bourgi, NDLR] a dit, en tout cas en ce qui concerne le Sénégal, c’est faux, archi-faux, totalement faux, dénué de tout fondement », -t-il poursuivi, en mettant en doute la parole de l’avocat franco-libanais qui a directement cité Abdoulaye Wade dans cette affaire explosive.

« Comme toute l’opinion, je me demande ce que vaut maintenant la parole de Robert Bourgi. Et deuxièmement, je me demande qu’est-ce qui le fait courir », a dit Serigne Mbacké Ndiaye, promettant une réaction plus détaillée dans un communiqué à venir.

En Côte d’Ivoire, le son de cloche n’est pas tout à fait le même. Mamadou Koulibaly, actuel président de l’Assemblée nationale ivoirienne et numéro deux de l’ancien régime, a confirmé la version de l’avocat français : « Robert Bourgi a parfaitement raison il y a eu un transfert d’argent entre Laurent Gbagbo et Jacques Chirac, en 2002 », a déclaré l’homme politique, faisant état « d’environ deux milliards de francs CFA (environ trois millions d’euros) transportés d’Abidjan vers Paris par valise ».

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