Sénégal : quand le Fesman prend en otage ses oeuvres d’art
La société qui a transporté 450 oeuvres exposées au Festival mondial des arts nègres (Fesman) de Dakar en 2010 n’a toujours pas été payée par le Sénégal. Du coup, elle refuse de restituer leurs biens aux artistes. Une situation qui compromet la réputation du pays d’Abdoulaye Wade et pourrait même provoquer une campagne de boycott de la prochaine Biennale d’art de Dakar.
La page du 3e Festival mondial des arts nègres (Fesman), qui a eu lieu à Dakar du 10 au 31 décembre 2010, est loin d’être tournée pour les 117 artistes plasticiens qui y ont participé. La société LP art, chargée par les organisateurs de transporter les œuvres refuse avec intransigeance de restituer les œuvres tant que les organisateurs du Festival n’auront pas payé pas la facture.
«On nous a demandé de récupérer 300 œuvres dans 35 pays différents et de les acheminer au Sénégal à Dakar dans le délai ultra court d’un mois. Une mission impossible que nous avons pu faire parce que nous y avons mis le prix. En janvier, au moment de nous payer, on nous a demandé de réduire le montant de la facture, ce que nous avons fait. Puis, les organisateurs ont coupé tout contact. Nous avons alors fait le choix de garder les œuvres jusqu’à ce que notre facture de 670 000 euros soit réglée ; somme à laquelle il faut ajouter maintenant 39 000 euros de frais de stockage en douane, » explique Jean-Bernard Pret, chef de service Foire internationale à LP art.
Artistes piégés
Une « prise d’otage » artistique qui se déroule dans l’indifférence des organisateurs du Fesman. « La commissaire de l’exposition Florence Alexis, qui a été l’interface entre nous et l’État du Sénégal ne réagit plus aux mails depuis bien longtemps déjà », se désole l’artiste ivoirien Ernest Duku, dont cinq des œuvres sont concernées. « Nous avons essayé de joindre Aziz Sow, le délégué général du festival ainsi que son adjointe, Sindiely Wade, en vain. Celle-ci avait promis d’envoyer une lettre aux artistes pour s’expliquer… nous l’attendons toujours ! », s’exclame de son côté le Franco-Béninois William Wilson.
En fait, après la clôture de l’exposition, c’est un festival de dettes qui a débuté au Sénégal. Le Fesman avait un budget estimatif de 48 621 597 010 FCFA. Mais l’événement a enregistré un déficit global de 22 911 097 120 FCFA (environ 35 000 000 d’euros), selon le journal sénégalais Le Quotidien, qui a eu accès aux documents comptables. La dette du Fesman a même dû faire l’objet, en juin 2011, d’une « loi de finances rectificative » du budget annuel de l’État. Et en attendant, les artistes trinquent : annulation de participation à des expositions et résiliations de promesses d’achat se multiplient.
"L’État fuit ses responsabilités"
Le transporteur a bien envoyé un devis individuel à chaque artiste, pour un montant variant de 1 000 à 15 000 euros. « Des sommes astronomiques », se lamente William Wilson. « Nous avons alerté toutes les représentations diplomatiques des pays concernés, et un maximum de personnalités du monde de l’art pour nous aider à faire pression sur le Sénégal, jusque-là sans succès. Quant à une action devant les tribunaux, nos avocats nous disent que nous sommes sûr de gagner, mais que nous n’aurons aucun moyen de faire appliquer le jugement face à un État qui fuit ses responsabilités. »
Espérons que l’épisode malheureux du Fesman n’ait un effet collatéral sur l’unique biennale africaine d’art contemporain que le Sénégal organise depuis 1992. « Le boycott de la Biennale de Dakar, évoqué ici et là, risque de se mettre sérieusement en place », craint Ernest Duku. Une menace qui, pour l’heure, ne préoccupe pas les organisateurs de l’exposition.
« Les artistes nous font confiance depuis neuf éditions et savent que notre organisation est différente de celle du Fesman », explique Ousseynou Wade, secrétaire général de la Biennale de Dakar. En 2010, le Fesman en était à sa troisième édition, après celles de 1966 et de 1977. Il faudra sans doute attendre longtemps avant la prochaine…
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