Nourrir la planète sans détruire l’environnement
En juillet, lors d’une réunion d’urgence sur la Corne de l’Afrique convoquée par la FAO à la demande de la présidence française du G20, le Ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire a souligné, face à la famine qui frappe la Somalie, le devoir de la communauté internationale « d’assurer la sécurité alimentaire mondiale ». En soulignant le manque de coordination de la communauté internationale et en appelant à une action immédiate, il rappelait ainsi le message de la France au G20 pour que le 21ème siècle ne devienne pas le « siècle de la faim dans le monde ».
Mais dans l’esprit du Plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agriculture du G20, M. Le Maire va plus loin et plaide pour une solution à long terme à la faim dans le monde. Et cela demande une vraie révolution.
Nous savons que la famine ne résulte pas seulement de la sécheresse ou des pertes agricoles. Les principaux coupables sont la mauvaise gouvernance et l’absence d’approvisionnement et de mécanismes de protection sociale. Qu’elles disparaissent et la famine s’éloigne. Mais si les solutions à ces problèmes difficiles sont bien connues localement, leur extension nécessite des changements radicaux et une nouvelle vision du monde.
On sait ce qu’il en coûtera de nourrir la planète demain : en 2050 nous devrons nourrir plus de 9 milliards d’habitants (9,3 en 2050 et 10 en 2100 selon l’ONU). Cela représente une augmentation de la production alimentaire de plus de 70%. Que faire ?
Un rapport publié à la Semaine Mondiale de l’Eau à Stockholm, intitulé "Ecosystems for Water and Food Security" appelle sans tarder à reconsidérer nos méthodes d’amélioration des rendements, à un moment où la production alimentaire représente déjà plus de 70% de la consommation en eau mondiale.
L’approche par les Services Ecosystémiques proposée dans ce rapport est tout bonnement révolutionnaire en ce qu’elle démontre le caractère fondamental des bénéfices que les écosystèmes apportent aux populations. Les sols, l’eau, les arbres, les cultures, la faune aquatique et le bétail remplissent en effet des fonctions multiples, et par leurs interactions jouent un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire. Le rapport insiste aussi sur la nécessité, pour comprendre nos écosystèmes, d’en connecter les éléments, mais aussi de faire collaborer ensemble pays, disciplines et secteurs économiques.
Produit par le Programme des Nations Unies pour Environnement (PNUE) et l’International Water Management Institute (IWMI) avec les contributions de 19 autres partenaires notamment le Challenge Program sur l’Eau et la Sécurité Alimentaire du CGIAR, ce rapport affirme que seule une telle approche nous permettra d’équilibrer nos demandes en alimentation, en eau et en énergie. Il offre des solutions aux producteurs et aux communautés pour faire face aux changements climatiques, aux fluctuations des marchés, et aux bouleversements sociaux et politiques. Il propose aussi une approche pour gérer les différents usages de l’eau de façon à satisfaire les besoins des usagers et le bon état des écosystèmes. Ainsi, les communautés locales seront mieux protégées des situations de crise.
Le cas des Andes est pour nous exemplaire : la demande alimentaire croissante doit y faire face au changement climatique, à la rareté de l’eau et à la chute de la fertilité des sols. En amont, les usagers utilisent l’eau pour l’irrigation, l’écotourisme et sa valeur patrimoniale et spirituelle. En aval, les compagnies d’hydro-électricité espèrent un volume régulier pour fournir de l’énergie à une population urbaine en croissance, et l’agro-industrie pour nourrir les villes.
Ensemble, ils réfléchissent aujourd’hui au meilleur partage possible des bénéfices de l’eau et de la terre dans leurs bassins versants. Et cela fonctionne !
Nous savons combien des politiques inadaptées d’amélioration des rendements peuvent ravager les terres, épuiser les ressources en eau et réduire la fertilité des sols, particulièrement dans les régions les plus vulnérables déjà largement dégradées. Cette situation a de graves conséquences physiques, sociales et économiques.
Nous ne pouvons ignorer les appels à répondre à des catastrophes humaines comme celle que connait actuellement la Corne de l’Afrique. Mais nous devons aussi reconnaître que de telles catastrophes sont le résultat d’une longue et pernicieuse exploitation des écosystèmes qui doit être stoppée.
Comment faire ?
Intensifier la production agricole ne peut se faire de façon isolée. Si les dirigeants politiques veulent augmenter les rendements, ils doivent d’abord considérer la réalité des sociétés et des écosystèmes qui soutiennent cette production.
Cette approche mieux raisonnée de l’agriculture permettra de prendre les décisions à long terme dont dépendent notre environnement et nos vies-mêmes.
Même s’ils ne descendent pas dans la rue pour le manifester, ceux qui transformeront notre agriculture seront des révolutionnaires. En adoptant cette vision du monde, ils tenteront de changer le destin de centaines de millions d’hommes et de femmes, tout particulièrement les plus pauvres et les plus vulnérables.
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Alain Vidal est Ingénieur en Chef des Ponts, des Eaux et des Forêts, et dirige le Challenge Program sur l’Eau et la Sécurité Alimentaire du CGIAR.
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