Syrie : Wikidesia, l’encyclopédie satirique qui brocarde le régime des Assad

Fondé par des activistes de l’opposition syrienne, le site internet Wikidesia ne fait pas dans la langue de bois. Surtout lorsqu’il s’agit de parler du bien-aimé président syrien Bachar el-Assad et de son régime despotique…

Bachar el-Assad a du mal à se mettre à l’écoute des aspirations démocratiques de son peuple. © Reuters

Bachar el-Assad a du mal à se mettre à l’écoute des aspirations démocratiques de son peuple. © Reuters

Publié le 2 septembre 2011 Lecture : 4 minutes.

« Cher membre de la sécurité d’État. Ne te fatigue pas à fouiller dans le site pour écrire ton rapport avant de l’envoyer à tes supérieurs. Lève-toi et fais condamner la page (…). Ou contribue avec nous à l’enrichissement de notre encyclopédie d’infiltrés. » C’est ce sympathique message de bienvenue que l’on peut découvrir sur la page d’accueil de Wikidesia (Wiki, pour sa dimension collaborative, et desia, du verbe « indassa » qui signifie infiltrer en arabe), un site satirique crée au début d’août par des révolutionnaires syriens.

« Notre objectif était de briser la peur qui empêche les gens de parler ouvertement de certains sujets tabous », explique à jeuneafrique.com l’un des fondateurs du site. « Mais nous voulions aussi répertorier et documenter les pratiques du régime, sa rhétorique, et les personnalités qui l’ont construit. »

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Ils sont environ une dizaine à s’occuper de la maintenance du site, presque tous issus du monde des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Une tâche complexe pour ces révolutionnaires, dispersés de la Syrie aux États-Unis, en passant par l’Allemagne et le Koweït. « Ceux qui sont en Syrie doivent faire très attention à leur sécurité. Et ceux qui sont à l’étranger ne peuvent pas rentrer au pays. Le fait que ce soit une encyclopédie ouverte, modifiable par tous, nous oblige à être constamment en éveil pour déjouer les tentatives de sabotage », explique le cyberactiviste.

Ton léger et ironique

Le Parlement est une chorale qui chante les louanges de Bachar el-Assad lorsqu’il prend la parole.

Sur un ton léger et ironique, le site, qui a reçu près de 200 000 visites depuis sa création, distille des informations précieuses sur les arcanes de la «  république héréditaire syrienne », instaurée en 1970 par Hafez el-Assad, et dont les rouages sont disséqués de manière corrosive. Wikidesia qualifie ainsi le Parlement « d’assemblée des applaudisseurs » aux allures de « grand opéra syrien », qui constitue « un pouvoir d’encouragement, la chorale qui chante les louanges de monsieur le président Bachar el-Assad lorsque ce dernier prend la parole ».

En tout, ce sont près de 180 entrées qui sont indexées sur le site, dont la vocation est aussi ludique que pédagogique. « Les analystes politiques ont du mal à définir la nature du régime politique en Syrie, certains parlent de république, comme le nom officiel l’indique, d’autres de Califat, étant donné que le fils hérite du pouvoir de son père », relève avec ironie Wikidesia, qui propose également des retours historiques sur des moments-clés de l’histoire syrienne.

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Le massacre de Hama, impossible à évoquer dans la sphère publique, est notamment expliqué de manière provocante et décalée. « En 1982, durant l’un des épisodes du complot universel visant la Syrie, des organisations terroristes armées se sont attachées à semer le trouble parmi les habitants de Hama, mais parce que Dieu protège la Syrie, les forces de défenses ont entrepris une opération chirurgicale délicate qui a permis le retour de la sécurité après éradication des organisations terroristes. »

Dans les faits, le 2 février 1982 Hama a été le théâtre de sanglants affrontements entre les forces spéciales de Hafez al-Assad, père de l’actuel président, et des membres des Frères musulmans issus de l’opposition. Le bilan de la tuerie est compris entre 30 000 et 40 000 morts, selon le Comité syrien des droits de l’Homme. En 2011, les pratiques n’ont pas beaucoup changé chez les Assad. La répression orchestrée par Bachar et son frère Maher, chef de la garde républicaine, aurait fait près de 2 200 morts et 10 000 disparus.

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"Frappez-le aux mains !"

Le site propose également de courtes biographies fort divertissantes de personnalités politiques qui ont marqué le régime des Assad. Ramy Makhlouf, le richissime homme d’affaires et cousin du président, est ainsi tourné en dérision : « durant la crise de 2011, poussé par son patriotisme, Ramy Makhlouf a décidé de quitter les affaires pour se consacrer aux bonnes œuvres. Il a ainsi été surnommé "Mère Ramy Theresa", "Cheikh Ramy Makhlouf béni soit-il", ou encore "l’association caritative Ramy Makhlouf" ». Mais, ajoute cyniquement le site, si l’affairiste s’intéresse désormais tant aux œuvres, c’est aussi parce qu’il s’agit du seul domaine qu’il n’avait pas encore investi jusque là…

Le régime n’est plus aussi confiant. Il a perdu tout soutien populaire.

Dans un pays où la presse et l’opposition politique sont muselées par le régime en place, l’expérience de Wikidesia est remarquablement audacieuse. Car risquée. Le 25 août, le célèbre caricaturiste Ali Farzat était transporté dans un hôpital de Damas, après avoir été violemment attaqué par des membres des services de sécurité. « Frappez-le aux mains, pour qu’il arrête de dessiner et d’attaquer ses maîtres ! » criait l’un de ses agresseurs.

Mais les « maîtres » ont du plus en plus de mal à contrôler leurs « sujets ». « Avant, il n’y avait que quelques personnalités actives, et nous n’avions pas de société civile en Syrie. Celle-ci a fait son apparition après les révolutions égyptienne et tunisienne. Nous même, fondateur de Wikidesia, étions intéressé par la chose publique, mais de manière individuelle », explique notre cyberdissident anonyme.

« Le régime n’est plus aussi confiant. Il a perdu tout soutien populaire. L’utilisation de la force, les arrestations arbitraires, la violation des lieux de cultes a retourné contre lui la grande majorité du peuple », poursuit-il. « Le dialogue national est le slogan de la prochaine étape », expliquait pourtant Bachar el-Assad au cours de sa troisième allocution post-soulèvement, à l’université de Damas, le 20 juin. Mais au lieu de prétendre vouloir dialoguer, il aurait visiblrement intérêt à écouter d’abord ses concitoyens … Et à les lire.
 

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