États-Unis : Tokunbo Ajiboye, des terrains vagues aux terrains de foot

Le sport a parfois des vertus salvatrices. Tokunbo, un jeune Américain d’origine nigériane s’est sorti des méandres du système de foyers pour sans-abris de New-York grâce à un programme d’aide basé sur la pratique du football. Un parcours qui l’a conduit jusqu’au Brésil en 2010, et cette année à Paris, où vient de s’achever la Coupe du monde des SDF. Retour sur un parcours hors du commun.

Après la galère, la drogue et la prison, « TK » s’est réinséré grâce au football. © Antoine Doyen pour jeuneafrique.com

Après la galère, la drogue et la prison, « TK » s’est réinséré grâce au football. © Antoine Doyen pour jeuneafrique.com

Publié le 31 août 2011 Lecture : 4 minutes.

TK, de son vrai nom Tokunbo Ajiboye, un new-yorkais de 27 ans, a vu son univers vaciller la première fois qu’il est monté dans le M35, un bus de sans-abris qui dessert inlassablement les deux foyers de l’association Help USA de Ward’s Island, une île lugubre coincée entre Harlem et le Queens. Un an et demi plus tard, dans un gymnase sans éclat, TK est l’un des rares à taper le ballon de football en qualité de bénévole et non en tant que de pensionnaire du shelter (foyer en anglais, NDLR). Cette histoire de ballon rond n’est pas anodine.

À la différence des dizaines d’autres qu’on trouve à New-York, le refuge Help USA de Ward’s Island offre à ses pensionnaires l’opportunité d’intégrer une équipe de street soccer – variante du football – avec un but clair : les aider à se reconstruire à travers le sport.

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Une vie meilleure

TK affiche une grande sérénité. Il revient pourtant de loin. Né dans l’État du Kentucky, il quitte les États-Unis à l’âge de deux ans avec ses parents, ses trois frères et ses deux sœurs, direction Ilorin au Nigeria dont le père est originaire. Là-bas, le gaillard va peu à l’école et joue beaucoup au foot, empêtré dans une vie de famille rythmée par les disputes des parents qui abandonnent souvent les enfants à eux-mêmes.

À vingt et un ans, Tokunbo choisit de retourner vivre aux États-Unis, à New-York. Il rêve d’une vie meilleure, veut faire des études. Mais le plan tombe à l’eau quand le jeune homme se met à vendre de l’héroïne. Il mène alors grand train, voyage beaucoup, à Londres ou Paris notamment, mais finit condamné à purger deux ans et demi de prison. Libéré au bout d’un an, il enchaîne des petits boulots de serveur pendant plusieurs années et retourne à l’école en 2007 pour obtenir son GED, le diplôme de fin d’études secondaires.

Fin 2009, il est renvoyé d’un restaurant de Long Island et tout s’écroule à nouveau. Incapable de payer son loyer, il est mis à la porte. Il devient alors « un marginal auprès de [s]es prétendus amis » et doit dénicher un endroit où crécher. Un après-midi de novembre 2009, hagard, il monte pour la première fois dans le M35, en route pour Ward’s Island : « J’étais complètement perdu mais en même temps, je ne savais pas ce que je devais ressentir ou comment réagir car je n’avais jamais mis les pieds dans un foyer. Ma confusion était totale. »

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Corps et âme

TK rejoint alors le cortège des 40 000 SDF qui peuplent les shelters new-yorkais. Catapulté à Ward’s Island, il traîne avec lui son spleen et sa vieille paire de chaussures de foot. Jusqu’au jour où un pensionnaire lui parle de l’équipe de street soccer du foyer. TK s’y lance corps et âme. L’équipe fait littéralement office de cellule de soutien pour ses membres. Bénévoles et permanents aident les gars – souvent en manque de repères – à se réinsérer. Ils établissent avec eux des « objectifs personnels » tous les trois mois, les poussant à reprendre pied dans une société qui avance comme un bulldozer.

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Grâce à l’équipe, 75% d’entre eux retrouvent un job ou un appartement, renouent les liens avec leur famille, reprennent leurs études ou vont au bout d’une cure de désintoxication. TK est l’un d’eux. Tout en participant au programme street soccer, il se rend consciencieusement aux entretiens d’embauche dégottés par l’équipe de bénévoles. Deux mois après son entrée, il trouve un logement – « deux mois qui m’ont donné l’impression de durer vingt ans » – et un emploi.

Il n’est pas étonnant que Tokunbo Ajiboye s’en soit sorti. Quand Will Mazzuto, directeur du programme et entraîneur au foyer, ou Lawrence Cann, créateur de l’initiative en 1997, parlent de Tokunbo, les mêmes expressions reviennent toujours. « Un meneur », « une attitude positive », « un gars curieux qui soutient les autres ». Même si Lawrence avoue, hilare, qu’« il fallait parfois [lui] courir après pour qu’il remplisse ses papiers ». TK est allé au bout du programme de la plus belle des manières. Après le tournoi annuel des vingt équipes de SDF à Washington en juillet 2010, il a eu le privilège d’être parmi les huit sélectionnés pour participer à la coupe du monde des sans-abris à Rio de Janeiro en septembre 2010 : « Tout était incroyable pendant ce voyage. L’accueil, le pays, tout ! Là-bas, un recruteur m’a même proposé un contrat à 1 500 euros par mois pour aller jouer en deuxième division hongroise », confie-t-il. Mais le garçon connait bien trop le foot pour risquer de se retrouver dans une de ces filières quasi esclavagistes, il préfère décliner.

"Rendre ce qu’on m’a donné"

Le bonhomme est aujourd’hui serveur dans deux restaurants de Long Island ; « surtout pour payer les factures », comme il dit. Mais depuis un an et demi déjà, il étudie la finance dans une petite université du côté de Times Square avec un objectif, « devenir banquier ou investisseur et gagner beaucoup d’argent ». Et surtout retourner s’établir dans l’Afrique de son enfance. TK a déjà son plan de vie tout tracé : apprendre le français, regagner le Nigeria, trouver un boulot d’investisseur import-export avec les pays francophones d’Afrique de l’Ouest et gagner assez pour revenir ensuite régulièrement en vacances aux États-Unis. Avec sa future petite famille comme il dit.

En attendant, il fait désormais parti des volontaires de l’équipe de street soccer de Ward’s Island. Il met toujours quelques misères techniques à ses compagnons sur le terrain et a joué les entraineurs assistants auprès de Will durant toute la saison. « Ça veut dire beaucoup pour moi. C’est l’opportunité de rendre ce qu’on m’a donné : jouer la coupe du monde au Brésil ».

Pendant toute la saison, il a caressé le rêve de venir à Paris avec Lawrence pour soutenir l’équipe américaine du côté du Champ de Mars. Son plan a légèrement capoté mais qu’importe, à partir de la rentrée, c’est lui qui reprendra la tâche d’entraineur et de coordinateur du projet au foyer de Ward’s Island. Le garçon a fait plus que s’en sortir.

 

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