Ali Nouhoum Diallo : « Le gouvernement malien n’assume pas les vrais résultats du bac »
Entretien avec Ali Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale du Mali et du Parlement de la Cedeao. Pour jeuneafrique.com, ce professeur retraité de la Faculté de médecine de Bamako revient sur la crise du système éducatif malien et sur les réformes visant à la résoudre.
Depuis le Forum national sur l’éducation en 2008, le Mali a mis en œuvre une série de réformes de son système éducatif comme l’introduction de nouvelles matières aux examens, la suppression du Certificat d’Étude Primaire (CEP) ou encore l’adoption d’un calendrier commun d’épreuves avec les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Des efforts qui ne suffisent pas, selon Ali Nouhoum Diallo (73 ans), à résoudre les problèmes de fond du système éducatif malien.
Jeuneafrique.com : Recommandé par le Forum national sur l’éducation au Mali, l’introduction du système « Licence-Master-Doctorat » (LMD) au niveau du supérieur a beaucoup perturbé les cours cette année au Mali. Le pays est-il prêt pour ce système ?
Ali Nouhoum Diallo : Les perturbations des cours sont dues à un manque d’autorité de l’État vis-à-vis des étudiants à qui on a donné tous les pouvoirs. Quant à la grève des enseignants, elle vise les conditions matérielles de vie et de travail. J’aurais préféré que les professeurs acceptent d’abord la mise en place du système LMD, comme dans toute la sous-région. Pour, ensuite, plaider : « puisqu’on a le même niveau et que nous subissons les mêmes épreuves, nous demandons que nos salaires soient alignés sur ceux de la sous-région ».
La suppression de l’examen du certificat d’Étude primaire (CEP), au niveau de la sixième année est-il une bonne chose selon vous ?
La surpression d’une évaluation n’est jamais une bonne chose en soi, la vie scolaire est une course. Personnellement j’aurais conservé le CEP. Je crois que ce sont des considérations économiques qui ont prévalu dans ces réformes.
Comment expliquer et remédier au manque de formation des professeurs ?
Le problème vient du fait que beaucoup d’enseignants ont choisi ce métier seulement parce qu’ils n’avaient pas la possibilité d’embrasser d’autres carrières. Un enseignement délivré par des professeurs faiblement qualifiés est insuffisant pour éduquer et former les élèves : il ne peut aller au-delà de l’alphabétisation. C’est pourquoi il faut multiplier les écoles normales supérieures de formation des enseignants afin que tous ceux qui y sont passés soient ensuite recrutés directement au sein de la fonction publique, avec un indice salarial élevé.
Aujourd’hui, une bonne partie des Maliens se demandent à quoi peut bien servir le savoir. À commencer par le président de la république, Amadou Toumani Touré. On se souvient de sa déclaration, lors de la pose de la première pierre du Canal qui relie la ville de Kabara à Tombouctou en 2006 : « faire de la politique, c’est résoudre le problème des hommes et pour ça, point besoin de faire l’École polytechnique, la Sorbonne, Francfort, Harvard… ». C’est un discours qu’un chef de l’État ne doit pas tenir s’il vise l’excellence de son système éducatif.
Selon vous, pourquoi aujourd’hui les élèves et les étudiants maliens n’ont-ils pas le même niveau que ceux de l’ancienne génération ?
Ma génération a eu la chance de sortir de l’école William Ponty au Sénégal. Les maîtres qui y ont enseigné avaient la vocation et la passion du métier. À l’époque dans la hiérarchie des fonctionnaires, les enseignants étaient les plus respectés. N’embrassaient cette carrière que les majors de promotions. Ils s’appelaient Mamadou Konaté, Modibo Keita, Mahamane Alassane Haidara, Fily Dabo Sissoko.
Comment analysez-vous les résultats du bac 2011 ?
J’ai reçu les documents mais je ne les ai pas encore consultés. Je peux simplement dire que 31,46% d’admis au bac ne reflète pas la réalité des résultats. Selon tout ce qui me parvient en tant qu’ancien responsable de ce pays, et de sources très sûres, c’est que la proclamation des résultats a été soumise à l’autorisation des décideurs du pays.
La vérité est que les professeurs ont délibéré, mais que le gouvernement s’en est mêlé parce qu’il ne pouvait pas assumer les vrais résultats du bac. La consigne a donc été de repêcher les candidats. Se demander quels résultats seraient politiquement corrects est une mauvaise attitude. Seules les considérations académiques et universitaires devraient avoir droit de cité à l’école.
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Propos recueillis à Bamako par Baba Ahmed
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