Pour mieux comprendre le guêpier libyen

L’ancien diplomate en poste à Tripoli Patrick Haimzadeh publie « Au cœur de la Libye de Kadhafi », un ouvrage qui éclaire d’un jour neuf le conflit en cours. Et analyse le moteur de la guerre civile : la revanche de la Cyrénaïque sur la Tripolitaine.

Mouammar Kaddafi, en juin 2009 à Rome. © Filippo Monteforte/AFP

Mouammar Kaddafi, en juin 2009 à Rome. © Filippo Monteforte/AFP

Fouad Laroui © DR

Publié le 17 août 2011 Lecture : 2 minutes.

Voici un livre* qui tombe à pic. S’il a sans doute été écrit à la hâte, ce qui expliquerait certaines redites, il n’en est pas moins passionnant. Patrick Haimzadeh, ex-diplomate qui a été en poste à Tripoli de 2001 à 2004, y brosse un tableau limpide de la Libye, permettant ainsi au lecteur de mieux comprendre la guerre qui s’y déroule.

À la lecture, quelques idées fortes se dégagent, et d’abord celle-ci : la Libye, c’est trois pays en un : la Tripolitaine, la Cyrénaïque (autour de Benghazi) et le Fezzan. Cette division date de l’antiquité phénicienne. On comprend alors que, dès le départ, il ne s’agissait pas d’une insurrection populaire, comme ce fut le cas en Tunisie ou en Égypte, mais d’une guerre civile entre blocs clivés depuis la nuit des temps : en gros, c’est la Cyrénaïque contre la Tripolitaine.

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Antiquité romaine

Haimzadeh montre comment l’Histoire récente du pays explique la situation actuelle. En 1920, le futur roi de Libye, Idris Sanussi, est émir de Cyrénaïque. Jusqu’en 1931, une résistance armée incarnée par Omar al-Mokhtar (dont l’épopée présente quelques ressemblances avec celle d’Abdelkrim) s’oppose à l’occupation italienne. Ce n’est qu’en 1943 que la Cyrénaïque et la Tripolitaine sont unies administrativement par Mussolini en une seule province nommée Libye, en référence à l’antiquité… romaine. La Libye moderne, celle de Kadhafi, représente le basculement du pays vers l’Ouest, vers Tripoli, et la marginalisation de Benghazi. Ce qui se passe en ce moment, ce serait donc aussi la revanche historique de Benghazi… D’où un paradoxe que bien des observateurs ont remarqué, à savoir la capacité des insurgés à défendre héroïquement leurs villes mais leur réticence à aller porter le combat sur des territoires qui ne sont pas les leurs. Toute incursion de combattants « étrangers » serait mal perçue par les locaux. En d’autres termes, la Cyrénaïque ne « libérera » pas la Tripolitaine.

Haimzadeh trace ensuite le parcours de Kadhafi, depuis le coup d’État du 1er Septembre 1969, et là aussi l’analyse est révélatrice. Admirateur de Nasser, le jeune « colonel » (on apprend en passant que Kadhafi n’avait pas ce grade au moment où il prit le pouvoir) s’était éveillé à la conscience politique lors de l’affaire de Suez (1956) même s’il n’était encore qu’un adolescent. En 1956, l’Égypte fut attaquée par Israël, la France et le Royaume-Uni réunis par le protocole secret de Sèvres. Ironie de l’Histoire, la France et le Royaume-Uni sont aujourd’hui en pointe dans la coalition anti-Kadhafi… Haimzadeh montre ainsi que, contrairement à Ben Ali et à Moubarak, Kadhafi est porté par une idéologie de la résistance à l’agression étrangère et au colonialisme. Il était donc illusoire d’imaginer qu’il s’enfuirait dès le premier bombardement.

En refermant ce livre, on se rend compte que la décision d’entrer en guerre contre Kadhafi a été prise sans analyse sérieuse des réalités du pouvoir et de la société libyenne. C’est à Haimzadeh que Sarkozy aurait dû demander conseil et non à BHL
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*Au cœur de la Libye de Kadhafi, Patrick Haimzadeh, J.-C. Lattès, 2011, 200 pages.

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