Syrie : bataille médiatique autour d’Hama la rebelle
La contestation syrienne ne faiblit pas à Hama, ville symbole du mouvement de contestation à Bachar al-Assad qui, en réponse, intensifie la répression. Mais, au delà, se joue une intense bataille médiatique, où il est bien difficile de démêler le vrai du faux.
Le bras de fer s’éternise en Syrie après plus de quatre mois de mobilisation contre le régime de Bachar al-Assad. Principale ville de l’opposition, Hama subit de jour en jour la répression de l’armée syrienne. Plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de manifestants y auraient trouvé la mort alors que dans tout le pays, plus de 1 600 civils auraient été tués depuis mars, d’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Mais ces chiffres ne sont pour le moment que des estimations invérifiables.
En cause : la bataille médiatique qui sévit entre les insurgés syriens et le pouvoir en place avec, pour chacun d’eux, une arme de prédilection. D’un côté, les réseaux sociaux, notamment la page Facebook The Syrian Revolution 2011 (attention les images qui y sont diffusées sont souvent insoutenables), et les blogs qui ont permis de mobiliser à l’international autour de l’opposition. De l’autre, la télévision d’État. Et il est bien difficile de démêler la bonne de la mauvaise foi.
Télévision d’État contre blogosphère
Dernier exemple en date du duel médiatique syrien, la publication d’une vidéo par la télévision d’État syrienne, le 31 juillet, dans laquelle ce qui est présenté comme des groupes d’opposants abattent des forces de sécurité régulières avant de précipiter leurs cadavres dans le fleuve Oronte.
Mais le démenti n’a pas tardé à venir du côté de l’opposition syrienne via les réseaux sociaux et la blogosphère. Selon le blog Syria Revolts, la vidéo tiendrait en effet du montage grossier : « Aucun endroit comme celui-ci n’existe à Hama et le fleuve Oronte est en crue sur la vidéo, alors qu’il est presque à sec en ce moment à Hama. » Et le blogueur de soupçonner que l’enregistrement provienne en réalité de la ville de Jisras-Shughour, où a eu lieu un affrontement entre des soldats déserteurs et l’armée régulière syrienne.
Conserver le soutien de Pékin et Moscou
Or, l’enjeu est de taille, cet événement pouvant justifier l’intervention de l’armée syrienne, qui serait alors pacificatrice plutôt que répressive. La bataille médiatique n’a alors rien d’anodin et pourrait décider d’un basculement de l’opinion internationale. Et Bachar al-Assad l’a bien compris, effrayé par l’interventionnisme d’une partie du Conseil de sécurité des Nations Unies, retenue par Moscou et Pékin, dont la Syrie pourrait perdre le soutien. C’est précisément ce qu’expliquait début juillet le militant Mohammed Abdallah à l’agence Reuters : « Recourir à l’agression militaire contre les manifestations pacifiques dans une place symbolique comme Hama lui vaudrait de perdre le soutien même de la Russie et de la Chine. »
Le dirigeant syrien a donc pris les choses en main en livrant sa propre analyse : à Hama, la mobilisation serait instrumentalisée par les islamistes sunnites, extrémistes récusant le pluralisme religieux et cherchant à renverser la minorité alaouite à laquelle appartient la famille Assad. Et le raisonnement, s’il peut paraître simpliste, n’est semble-t-il pas totalement dénué d’éléments de vérité.
Danger désinformation
Ainsi, dès le mois de mai, un opposant laïque, peu sujet à la sympathie envers le président syrien, s’estimait dans l’Express « convaincu que des islamistes (étaient) à l’oeuvre au sein des manifestants. » Évoquant les slogans hostiles aux alaouites ou aux chrétiens scandés par certains manifestants, un autre militant remarquait également : « Il est évident désormais qu’ils sont issus de l’islamisme. » Enfin, l’un des organisateurs des manifestations évoquait clairement sa crainte que les extrémistes « aient fourni au régime la justification d’un emploi de la force ».
Il est de fait de plus en plus difficile de trancher entre la version d’un État qui fera tout pour rester au pouvoir et une opposition qui, depuis le mois de mars, a sans aucun doute changé de visage, sans pour autant tomber toute entière dans l’extrémisme sunnite. En Syrie, les images de groupes armés postés sur les toits et tirant au hasard sur la foule et sur les forces de l’ordre sont diffusées par les télévisions nationales. Sur les chaînes occidentales et saoudiennes, les mêmes images sont reprises pour attribuer ces crimes au gouvernement de Damas.
Qu’en conclure : désinformation de la part du régime syrien ? Traitement simpliste, et potentiellement orienté, de la part des médias occidentaux ? De la réponse à cette question dépend vraisemblablement le sort de la révolution syrienne, et par la même occasion, du régime de Damas.
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