Éthiopie : la famine menace mais les agrocarburants se portent bien
Dans la Corne de l’Afrique, 12 millions de personnes souffrent de la sécheresse. Les Nations unies parlent même de famine dans plusieurs régions. Pourtant, l’État éthiopien continue de louer ses terres fertiles, délaissant une agriculture vivrière au profit de grandes exploitations tournées vers l’exportation dans le domaine des agrocarburants.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais l’actualité régionale lui donne une portée symbolique. Alors que plus de 10 millions de personnes souffrent du pire épisode de sécheresse depuis 60 ans, l’Éthiopie, dont certaines régions sont classées par l’Organisation des Nations unies en situation de crise ou d’urgence humanitaire, poursuit une politique de location de ses terres fertiles. Des entreprises étrangères, notamment malaisiennes, italiennes ou coréennes, ont en effet obtenu des concessions sur bon nombre d’hectares dans l’ouest, mais également le sud du pays. Fri-El Green Power, une compagnie transalpine, exploite par exemple au moins 30 000 hectares de palmiers à huile près du Lac Turkana, dans la vallée de l’Omo.
Cette région, très riche en eau, est en passe de devenir une zone de culture de canne à sucre. Et donc un pôle d’exportation destiné à alimenter le marché mondial des agrocarburants. Pour faciliter l’irrigation, deux barrages ont d’ores et déjà été construits sur le fleuve Omo (Gibe I et II) et un troisième est en chantier depuis 2006 (Gibe III), notamment grâce à des fonds italiens ; il pourrait devenir l’ouvrage hydroélectrique le plus important d’Afrique. L’équation est simple : l’Éthiopie, en manque de fonds, abandonne peu à peu son agriculture vivrière en échange d’investissements internationaux.
Une opportunité de développement pour l’Afrique ?
Un marché supposé gagnant-gagnant. D’un côté, les entreprises étrangères obtiennent des contrats favorables en matière de droits de douane et de coûts d’exploitation – en Éthiopie, le loyer des terres agricoles est d’environ 4,30 euros par hectare et par an. De l’autre, les États africains retirent des avantages en termes de développement, de modernisation des outils de production et d’augmentation de la productivité.
Mais l’argument ne semble pas supporter le passage de la théorie à la pratique. Ainsi, alors que l’Éthiopie a déjà accordé des concessions sur des millions d’hectares (3,6 millions dans l’ouest du pays), pour des périodes de trente à cent ans dans la plupart des cas, sa productivité sur les terres agricoles qu’elle exploite encore reste l’une des plus faibles du monde. Et, si les agrocarburants développés à partir des produits cultivés sur ses terres sont rentables, Addis-Abeba n’en retire quasiment rien, que ce soit en termes de capitaux, du fait de coût de production et des droits de douanes négociés, ou de développement technologique.
Des paysans autrefois autonomes expulsés ou réemployés
Ainsi, Karmjeet Singh Sekhon, dirigeant de l’entreprise Southall Furnitures United, est à la tête d’une des plus grandes fermes de l’Ouest éthiopien, qui couvre une superficie de quelque 300 000 hectares. Prévoyant de « construire de nouveaux champs de canne à sucre et d’huile de palme », cet entrepreneur indien de 68 ans espère gagner des millions en exploitant à l’étranger les produits cultivés. Une opération on ne peut plus lucrative. Sauf peut-être pour le jeune garçon qui, non loin de lui, arrache les mauvaises herbes au milieu d’un champ de canne à sucre. Red, huit ans, est plus rentable que les pesticides. Il gagne 70 centimes d’euros par jour.
Et son cas n’est pas isolé. Les trois barrages éthiopiens jetés sur le fleuve Omo pour favoriser l’irrigation vont considérablement gêner la crue du fleuve. Une montée annuelle des eaux indispensable aux cultures et à la survie des autochtones. Ceux-ci se voient donc pousser à une « reconversion ». De paysans autosuffisants à employés au salaire on ne peut plus modique.
Ils pourront alors – notamment en cas de sécheresse, comme celle qui sévit actuellement – rejoindre le milliard de personnes mal nourries que compte la planète, victimes de la flambée des prix des denrées comestibles, particulièrement sensibles depuis 2008. De son côté en revanche, le marché des agrocarburants se portera à merveille.
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