Pourquoi il faut intégrer les marchés financiers en Afrique centrale
Alex Bebe Epale est avocat au barreau de Paris et collaborateur du cabinet Hogan Lovells LLP, à Paris
La question des financements à long terme s’est posée à l’Afrique Centrale comme à d’autres régions en développement. Le secteur bancaire africain, qui montre des signes prometteurs, a certes un rôle primordial à jouer dans le développement des entreprises locales, puisqu’il reste le principal apporteur de liquidités, mais ce secteur demeure insuffisant. Les capitaux à long terme et les fonds propres, qui manquent aux entreprises de la sous-région, doivent être l’affaire du marché boursier. Mais la question d’un marché financier intégré dans la zone CEMAC s’est avérée moins simple à résoudre que prévu, notamment face à la volonté du Cameroun d’affirmer son leadership et sa puissance économique dans la zone.
Deux places financières pour un si petit marché…
Pour comprendre la problématique du marché financier en Afrique centrale, il faut remonter aux années 1990, à la sortie des deux grandes crises qui ont ébranlé les économies de la zone CEMAC ; il devenait évident, d’une part que les banques étaient incapables de financer de manière pérenne le secteur productif avec leurs ressources constituées essentiellement de dépôts à court terme et, d’autre part, qu’il était nécessaire de compléter le financement bancaire par un outil de financement à long terme. C’est dans ce contexte que les autorités politiques de la CEMAC avaient confié à la Banque centrale la mission de superviser une étude sur la faisabilité de la création d’un marché financier régional. En 1999, cette étude conclut à la viabilité du projet de création d’un marché financier en Afrique centrale, dont la mise en œuvre se fera progressivement, notamment dès l’année 2000 avec l’établissement du siège de la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC) à Libreville (Gabon), suivi en 2001 par la création de la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf) dont le siège a également été fixé à Libreville.
La mise en place du marché financier régional s’est faite au mépris de l’orientation générale fixée dans l’étude de faisabilité.
Cependant, comme le déplorait la Cosumaf dans son rapport de septembre 2009*, la mise en place du marché financier régional s’est faite au mépris de l’orientation générale fixée dans l’étude de faisabilité. Au lieu d’un marché intégré, a été mis en place un marché financier éclaté où coexistent deux bourses de valeurs. En effet, en marge de la création de la BVMAC, le Cameroun s’est également doté en 1999 d’un marché financier, dont la gestion a été concédée à la Douala Stock Exchange (DSX) par une convention de concession signée en 2005.
Un bilan mitigé
Le bilan des activités est plus que mitigé. Concernant la BVMAC, on enregistre seulement quatre émissions obligataires, avec une capitalisation boursière estimée au 31 décembre 2012 à environ 219 milliards de francs CFA, le compartiment actions étant resté quasiment inactif à ce jour, excepté les péripéties récentes de SIAT Gabon sur ce marché (voir JA 2013 n° 2739), qui révèlent bien toute l’absurdité à laquelle peut mener la rivalité entre Douala et Libreville sur cette question. Une telle levée de fonds paraît dérisoire face aux besoins de financement des entreprises et face à l’excédent budgétaire des États de la zone, qui pourrait pourtant constituer un important gisement de ressources. Quant à la DSX, la capitalisation boursière des six valeurs qui y sont cotées s’établit à environ 118 milliards de Francs CFA, pour trois opérations enregistrées sur le compartiment actions. Le compartiment obligations est resté complètement inactif à ce jour.
L’insuffisante profondeur de ce marché et la faible culture boursière dans la zone constituent quelques-uns des principaux défis à relever, en plus de ce qu’il reste à faire en termes d’infrastructures de marché. L’information financière et comptable reste le talon d’Achille de la plupart des entreprises locales. Par exemple au Cameroun, le recensement général des entreprises publié en 2010 par l’INS révélait que 57,1 % des 93 969 entreprises camerounaises ne tiennent pas une comptabilité écrite. Parmi la minorité d’entreprises qui tient une comptabilité écrite, seulement 31,1 % aboutissent à une comptabilité formelle, c’est-à-dire celle qui permet d’établir une déclaration statistique et fiscale, ce qui représente environ 13 % de l’ensemble des entreprises.
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Pourtant, afin que leurs titres soient admis à la cote à la DSX, les émetteurs doivent notamment produire des déclarations statistiques et fiscales ainsi que des comptes certifiés pour les trois derniers exercices… Pour reprendre la conclusion d’un journaliste camerounais, « à ce point, on attendra encore longtemps pour voir les entreprises se bousculer aux portes de la DSX ». Les entreprises doivent donc comprendre que sur un marché financier, quel qu’il soit, la fiabilité de l’information est le nerf de la guerre pour les investisseurs. Elles doivent être en mesure de se conformer aux standards de l’information afin de pouvoir accéder au marché financier de la sous-région, et par là, lui donner une certaine profondeur. Ces entreprises sont déjà aidées en cela par un cadre normatif unifié relatif au droit des sociétés et aux normes comptables, dans la mesure où l’ensemble des États membres de la CEMAC est également partie à l’OHADA.
« Rapprochement » ou « fusion » des deux places financières ?
On pourrait s’étonner que le siège de la BVMAC ait été établi à Libreville, alors que le Cameroun est incontestablement le leader économique de la zone CEMAC. Au-delà de ce qui pourrait s’apparenter à une guerre d’égos, il faut souligner qu’il est difficile pour une entreprise de réussir une introduction en bourse en levant des fonds importants dans la sous-région sans l’implication d’investisseurs institutionnels camerounais, et l’exemple récent de SIAT Gabon pourrait bien illustrer le propos. Mais il est aussi un fait que les deux marchés financiers coexistent et qu’il faut à présent trouver le moyen de les rendre plus efficients, soit en harmonisant leur fonctionnement et les normes auxquelles ils sont soumis, soit en les fusionnant. Un ancien ministre des Finances du Cameroun faisait remarquer à cet égard que « rapprochement » n’avait rien à voir avec « fusion »… Soit. Mais concrètement, cette situation génère des inconvénients en termes d’attractivité et d’efficacité, notamment en raison de la superposition des normes et des autorités de régulation, l’absence d’économies d’échelle et la duplication des coûts, ce qui paraît absurde pour un marché de cette taille.
Même en réussissant le pari de la fusion à terme, cela ne garantit pas la fin de la discorde
Afin de surmonter ces obstacles, plusieurs solutions existent. La première a très bien été décrite par la Cosumaf dans son rapport de 2009. Il s’agit d’une harmonisation devant aboutir à l’unicité du cadre règlementaire et du régulateur. Concrètement, cela commencerait par une harmonisation du cadre réglementaire des deux marchés, suivi de la définition d’un cadre de coopération entre les deux autorités de régulation, puis de l’élaboration d’un « passeport CEMAC » qui constituerait en fait un modèle de prospectus commun pour tout appel public à l’épargne dans la zone. Enfin, la coopération entre les autorités de régulation devrait permettre d’harmoniser les règles de marché et d’admission à la cote établies par les entreprises de marché. Il faudra naturellement tenir compte de ce travail d’harmonisation et d’unification au niveau des autres structures centrales des marchés que sont les dépositaires centraux et les banques de règlement. Même en réussissant le pari de la fusion à terme, cela ne garantit pas la fin de la discorde, car il est tout à fait envisageable que le Cameroun exige que la BVMAC, ou bien l’autorité de régulation, soit localisée sur son territoire.
La voie de la spécialisation
Mis à part cette rivalité un peu facile, les autorités politiques de la CEMAC pourraient aussi plus sérieusement songer à engager l’une des deux places financières dans un processus de spécialisation. En Afrique de l’Ouest par exemple, en marge de la Bourse régionale des valeurs mobilières de l’UEMOA, la Côte d’Ivoire a très bien su développer une bourse du cacao et du café ayant notamment pour mission de mettre en place un mécanisme de garantie d’un revenu et d’un prix rémunérateur pour les producteurs, ainsi que la promotion du cacao ivoirien sur le marché international. Lorsqu’on connaît l’énorme potentiel agricole du Cameroun et les difficultés auxquelles font face les producteurs dans ce pays, on se dit que c’est une voie royale que pourrait emprunter la bourse de Douala, par exemple au profit de la filière de la banane…
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COSUMAF, « Comment développer le marché financier en Afrique Centrale ? », Feuille de route en vue de dynamiser le marché financier en zone CEMAC, septembre 2009, p. 1.
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