Le passage au numérique fait mal aux salles de cinéma marocaines

Entre les coûts de rénovation, le passage au numérique et la concurrence des multiplexes, les salles de quartier de Casablanca périclitent. Mais quelques propriétaires passionnés résistent.

Le Rif, à Casablanca. © Hassan Ouazzani/JA

Le Rif, à Casablanca. © Hassan Ouazzani/JA

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Publié le 30 juillet 2013 Lecture : 3 minutes.

D’un pas pressé, Hassan Belkady gravit les marches en marbre du Rif, cinéma populaire planté depuis plus de un demi-siècle dans le centre de Casablanca. Direction la chambre de projection où, avant la séance du soir, une poignée d’ingénieurs français et marocains peaufinent les derniers réglages du projecteur numérique acquis en mars. En juin, les deux autres cinémas casablancais de Hassan Belkady, le Ritz et l’ABC, ont aussi troqué leurs vieux projecteurs 35 mm contre du matériel numérique flambant neuf. « On n’a pas le choix, explique ce passionné du septième art. D’ici à la fin de 2013, les grands distributeurs arrêteront les pellicules de 35 mm. Si on veut survivre, il faut passer au numérique. »

Survivre… Le mot n’est pas trop fort. Au début des années 1980, le Maroc comptait 250 salles, qui accueillaient 50 millions de spectateurs par an ; en 2012, il n’y en avait plus qu’une quarantaine, pour 2 millions d’entrées. Les raisons d’une telle dégringolade ? L’arrivée de la parabole, l’invasion massive des DVD pirates – « le sida du cinéma marocain », selon Hassan Belkady – et la détérioration des salles de centre-ville. « Certains patrons de cinéma sont responsables de cette chute de la fréquentation, affirme le producteur Aadel Essaadani. À la fin des années 1980, de nombreuses salles n’ont pas été rénovées et se sont dégradées. Attirant moins de public, elles sont peu à peu devenues un repaire pour couples en manque d’intimité… »

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Quelques salles mythiques, comme le Rialto à Casablanca, emblème du style Art déco des années 1930, tentent pourtant de s’en sortir. Leurs propriétaires disent se débattre nuit et jour pour ne pas mettre la clé sous la porte. Et y engouffrent toute leur fortune. « Nous faisons ça par amour du cinéma et pour sauvegarder notre patrimoine », assène Belkady, qui assure gagner sa vie uniquement grâce à ses revenus de… chirurgien-dentiste.

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Main basse

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Une partie du problème tient aussi à la concurrence de Megarama. Le groupe français, qui a débarqué au Maroc en 2002, dispose de multiplexes à Casablanca, Marrakech et Fès. Bénéficiant de la quasi-totalité des droits sur les films américains et européens projetés dans le pays, il a fait main basse sur le business et truste le plus gros des entrées. « L’objectif de Megarama est simple : il veut nous tuer, tempête Mohamed El Ayadi, le propriétaire du Colisée, à Marrakech. J’ai déposé une plainte pour concurrence déloyale, mais pour le moment ça n’a rien donné…

De fait, de leur côté, les salles de centre-ville se contentent de diffuser des longs-métrages marocains, égyptiens ou indiens. L’État et le Centre cinématographique marocain (CCM) ont récemment réévalué les aides financières pour permettre aux cinémas indépendants de garder la tête hors de l’eau. Les pouvoirs publics s’engagent ainsi à prendre en charge 50 % des coûts de rénovation d’une salle si celle-ci respecte un cahier des charges bien précis. L’État s’est en outre engagé à fournir une enveloppe de 1 million d’euros (près de 11 millions de dirhams) pour soutenir la transition vers le numérique. À raison de 100 000 euros le projecteur, cette aide permet d’équiper une dizaine de salles. Ce qui signifie qu’une trentaine vont rester sur le tapis… Pour beaucoup, la survie des cinémas historiques passe par une politique publique plus volontariste : baisse des impôts, aides à la modernisation des salles, mise en place d’une concurrence plus saine… Alors peut-être les Marocains renoueront-ils avec leur cinéma de quartier.

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