RDC : quand les femmes brisent le tabou du viol

Dans un village congolais, 121 femmes ont eu le courage de raconter leur viol par des soldats. Pour cela, certaines d’entre elles sont rejetées par leur époux.

Une femme photographiée chez elle le 3 juillet 2011 dans le village de Nakiele. © AFP

Une femme photographiée chez elle le 3 juillet 2011 dans le village de Nakiele. © AFP

Publié le 5 juillet 2011 Lecture : 3 minutes.

Même le repas qu’elle a préparé avec soin ne trouve pas grâce aux yeux de son mari, qui préfère celui confectionné par les sœurs de son épouse. La faute de cette jeune Congolaise, prénommée Adèle ? S’être trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment et avoir eu la force de raconter son calvaire.

Comme 121 autres femmes de Nakiele, un village congolais de 12 300 habitants, cette mère de 19 ans a été violée. Le corps et la dignité meurtris, elle doit aujourd’hui face au rejet de son époux. « Mon mari n’accepte plus de partager le lit avec moi. Je dors par terre. (…) Je ne comprends pas pourquoi on doit m’abandonner ». Pourquoi ? Parce que, comme dans beaucoup de pays, le viol reste un tabou. Et Adèle, comme les autres femmes du village victimes de viols, a refusé de garder le silence. Depuis, une dizaine d’entre elles sont rejetées violemment par leurs époux.

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Les femmes ont brisé le tabou. Elles se sont rendues à l’hôpital pour raconter ce qu’il s’était passé ce matin là. Le 11 juin, 150 soldats déserteurs débarquent. Les hommes du village s’empressent de se réfugier dans la brousse, par crainte d’être utilisés comme porteurs, et d’avoir à subir les violences de ces hommes commandés par un ancien membre d’une milice Maï Maï.

"Femme de militaire"

Une poignée d’homme seulement reste sur place, dont le chef du village, le médecin et ses infirmiers. Leurs femmes échapperont alors à la barbarie des soldats. Mais pas les autres.

Sifa a 20 ans. Elle a cru pouvoir confier son désarroi à son mari, alors qu’il revenait de sa fuite le 12 juin au matin. « Il m’a dit que maintenant j’étais une femme de militaire, que je devais suivre les soldats et ne pas rester ici. Mais il ne m’a pas encore chassée. Je ne comprends pas pourquoi il dit ça ». Qu’adviendrait-il d’elle, et de son enfant d’un an serré contre son dos ?

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« J’ai honte de passer dans le village. Je suis l’objet de critiques, de moqueries, on dit que je suis une femme de militaire, porteuse de maladie (vraisemblablement le Sida, NDLR) », raconte Dekila, une autre jeune femme de 28 ans, contrainte par son mari de « laisser le lit ».

Phénomène collectif

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Si les hommes du village ne s’attendaient pas à voir la dignité de leurs femmes bafouée par les soldats, c’est que les habitudes des militaires ont visiblement changé. Ils avaient coutume, depuis 2009, de passer dans les villages pour quémander « des rations, une chèvre, et les femmes restent en toute quiétude », raconte Losema Etamo Ngoma, le chef de Nakiele. « Mais cette fois ça a mal tourné », déplore-t-il.

Une psychologue a tenté d’apaiser le mal-être de ces femmes, en a écouté une cinquantaine, quelques jours plus tard. « (Elles) ont eu le courage de le dire, il y a eu un phénomène collectif, et la sensibilisation d’ONG pour qu’elles se déclarent », estime la thérapeute Eugène Byamoni.

Pour lever le tabou qui sévit en RDC autour du viol, la psychologue essaie de mettre en place des discussions, de « réunir les hommes et les femmes, de les sensibiliser, et d’expliquer que le malheur qui est arrivé n’est pas de la faute des femmes ». Et pour la thérapeute, le « groupe de dix sages » réunis par le chef du village pour essayer de contrer les réactions excessives des maris « n’a pas la méthodologie ». « Il faudrait que des spécialistes viennent leur apporter des méthodes, le plus vite possible, sinon les foyers vont continuer à se disloquer », déplore-t-elle. Dans deux autres villages proches, 127 femmes ont aussi raconté avoir été violées par les soldats.
(Avec AFP)

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