Mansouria Mokhefi : « En Libye, la coalition soutient aveuglément les rebelles »

La situation en Libye devient de plus en plus complexe. Les interrogations concernent principalement les véritables objectifs de la coalition, et l’identité des rebelles qu’elle soutient. L’analyse de Mansouria Mokhefi, responsable du programme Moyen-Orient/Maghreb à l’IFRI, Institut Français des Relations Internationales.

Un tank détruit à Ajdabiya, le 11 juin dernier. © AFP

Un tank détruit à Ajdabiya, le 11 juin dernier. © AFP

Publié le 17 juin 2011 Lecture : 5 minutes.

Le conflit libyen exige de plus en plus d’explications. D’un côté, l’OTAN intensifie ses frappes aériennes sur Tripoli, et la coalition prépare – sans se cacher – l’après-Kadhafi. D’un autre côté, elle ne cesse de répéter que le colonel libyen n’est pas visé dans ces attaques. Qui croire ?

On assiste en Libye à un aventurisme inconsidéré de la part de coalition internationale. Depuis le début, les objectifs de cette intervention sont très ambigüs. Cependant, il est clair désormais, au regard des déclarations des dirigeants occidentaux, que le mandat de l’ONU est outrepassé [Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a déclaré ce vendredi que la France "demande" le départ de Kadhafi, NDLR].

On assiste en Libye à un aventurisme inconsidéré de la part de coalition internationale.

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En effet, il semblerait que la coalition tente davantage aujourd’hui d’assassiner Kadhafi que de sauver des vies humaines face aux exactions orchestrées par le régime. Les bombardements visent explicitement la résidence de dirigeant libyen ou les lieux où il pourrait se trouver. Et des forces au sol sont véritablement présentes sur le terrain, ce que le Conseil de sécurité de l’ONU n’a jamais autorisé : conseillers et vétérans militaires, agents de renseignement, etc. Pourquoi un tel décalage ? La coalition a vraisemblablement pris au mot la recommandation onusienne : « prendre toutes les mesures nécessaires » pour assurer la protection des populations civiles.

Le secrétaire à la Défense américaine, Robert Gates, a dénoncé le 10 juin le manque d’investissements de certains membres de l’OTAN, en charge des opérations en Libye. L’intervention de la coalition risque-t-elle  d’être fragilisée ?

Seulement huit pays sont impliqués dans les opérations en Libye. Même l’Espagne et les Pays-Bas, qui ont donné leur accord, ne participent que de façon limitée. De plus, les Etats-Unis [qui financent en grande partie les opérations de l’OTAN, selon Robert Gates, NDLR], pourraient bientôt réduire leur participation. La décision du président américain d’intervenir en Libye est en effet loin de faire l’unanimité au Congrès.

La Chambre des représentants a voté lundi un amendement qui vise à interdire l’utilisation de fonds américains pour l’opération en Libye. Même si ce vote doit être confirmé au Sénat, cela montre la fragilité des moyens financiers et militaires de l’OTAN. Et, étant donné le coût de cette intervention qui dure depuis déjà trois mois [L’Alliance a annoncé le 1er juin qu’elle prolongerait sa mission jusqu’en septembre, NDLR], on peut se demander si les Américains vont utiliser les fonds libyens gelés par l’ONU à des fins humanitaires.

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Si le conflit dure, des répercussions sur la région sahélienne et l’Afrique subsaharienne* sont-elles à craindre ?

Les Etats africains craignent les répercussions que la chute de Kadhafi, et l’arrivée au pouvoir des responsables du Conseil National de Transition (CNT) auraient sur leurs pays. Avec Kadhafi, ils bénéficiaient d’un soutien économique et financier clair. Le colonel libyen voulait même créer des Etats-Unis d’Afrique, avec comme fondement un partenariat économique. Sans Kadhafi, les Etats africains souffriront de ce manque d’aide financière.

Si les responsables du CNT venaient à gagner ce conflit, ils se souviendront de la position de l’UA.

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Par ailleurs, l’Union Africaine (UA) a dès le début émis des réticences à intervenir aux côtés des Occidentaux et des rebelles en Libye. Elle n’a pas officiellement pris le parti des insurgés [Les seuls présidents africains en exercice à avoir reconnu le CNT sont le Sénégalais Abdoulaye Wade, et le dirigeant gambien Yaya Jammeh, NDLR]. Depuis le 11 avril, elle demande plutôt un cessez-le-feu et des réformes du régime [Le président sud-africain, Jacob Zuma, estimait fin mai que les frappes de l’OTAN sapaient le processus de paix engagée par l’UA, NDLR]. A mon avis, si les responsables du CNT venaient à gagner ce conflit, ils se souviendront de la position de l’UA, tout comme celle de la Ligue arabe, qui reste très silencieuse dans ce dossier.

Enfin, l’Afrique subsaharienne est très inquiète également. On a récemment rapporté dans les médias les exactions commises dans l’Est libyen, fief de la rébellion, contre des travailleurs africains [considérés comme des mercenaires par les insurgés, NDLR]. Si le conflit s’enlise davantage, la situation de ces Africains présents dans la zone de conflit pourrait se détériorer.

Un rapport d’observateurs français vient d’être rendu public. Leurs conclusions sont sans appel : on ne connait pas actuellement la réelle composition du CNT, qui serait, selon eux, marqué par « un islamisme radical et combattant ». Qu’en pensez-vous ?

Lorsque la résolution de l’ONU a été votée, la coalition ne savait pas sur quel terrain elle s’engageait. Aucune enquête n’a été lancée avant le 17 mars, pour s’assurer de l’identité réelle des forces en présence dans le conflit. En revanche, le président français était, lui, pressé de rétablir son image dans les pays arabes, après les épisodes tunisien et égyptien. Il a embarqué avec lui le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Mais sur le terrain, aucun dirigeant ne savait où il allait et à qui il avait à faire.

L’insurrection libyenne n’est ni spontanée, ni endogène, ni pacifique.

Contrairement aux soulèvements tunisien et égyptien, il faut rappeler que l’insurrection libyenne n’a pas de racines socio-économiques. Elle n’est ni spontanée, ni endogène, ni pacifique. Dès le début, les insurgés ont eu pour objectif la conquête du pouvoir. Les pays occidentaux se retrouvent aujourd’hui à soutenir aveuglément une rébellion qui se dit démocratique et respectueuse des droits de l’homme – alors que le leader du CNT n’a jamais brillé par son respect de ces mêmes droits quand il était dans le gouvernement de Kadhafi -, en ignorant que le projet de constitution du CNR reconnait la charia comme la source de ses lois.

Au final, la coalition occidentale ne s’attendait pas à ce que les opérations lancées il y a trois mois durent aussi longtemps, comme elle ignore aujourd’hui les multiples conséquences au niveau local et régional de cette entreprise.

*L’IFRI organise un colloque sur le thème des répercussions de la crise libyenne sur la région sahélienne, le 28 juin, 27 rue Procession, Paris 15e. Tel. 01 40 61 60 00.
 

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