Michel Sidibé : « Intégrer la lutte contre le sida dans un plan global de développement »
Du 8 au 10 juin, des chefs d’État et de gouvernement du monde entier se réunissent à New York pour dresser le bilan d’une décennie de lutte contre la pandémie du VIH/Sida. Le directeur exécutif d’Onusida, Michel Sidibé, explique à jeuneafrique.com pourquoi il est primordial d’inclure la lutte contre le sida dans le combat pour le développement.
Jeune Afrique : Trente ans après la découverte du VIH/Sida, où en est l’Afrique dans la lutte contre le virus ?
Michel Sidibé : Avant toute chose, il faut rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, le sida, c’était la maladie de la honte. Il fallait se cacher, ne le dire à personne, nier sa maladie. Aujourd’hui, en Afrique, une mutation sociale importante s’est opérée : on a brisé la conspiration du silence. Les malades ne sont plus condamnés à mourir sans bruit. Le sida nous a obligés à faire un voyage au chœur des droits humains et de la justice sociale.
Les Nations unies, au cours du 1er sommet sur le VIH/sida, avaient décidé de la gratuité des antirétroviraux (ARV). Où en est-on dans l’application de cette mesure ?
Avant le sommet de 2001, personne ne croyait que c’était possible ; s’engager sur la voie de l’accès gratuit aux traitements était une folie. On nous disait : « Jamais les ARV ne seront disponibles pour les pauvres. » Et pourtant, en dix ans, nous sommes passés de zéro malade sous traitement à plus de quatre millions d’Africains sous traitement, gratuitement. Grâce à cette mesure, la pandémie est stabilisée dans 54 pays du monde, dont 34 en Afrique. Les progrès sont là, palpables. Mais les défis demeurent. Il y a encore sept millions de personnes qui attendent le traitement. Il faut continuer à mobiliser si l’on veut rassembler les fonds nécessaires à la mise à disposition des ARV.
Les pays africains se disent conscients de l’enjeu que représente le sida dans leur développement, mais il n’empêche que les ressources allouées à la lutte contre la maladie ne bougent guère. Comment cela se fait-il ?
Le président Abdou Diouf me disait « à force de traiter les urgences, on a tendance à oublier l’essentiel ». C’est le cas de nos pays, nous sommes bloqués dans la gestion des urgences, ce qui nous empêche d’avoir une vision à long terme. Alors que pour arrêter la propagation du virus, il faut intégrer la lutte dans un plan plus global de développement. Cela implique la lutte contre la pauvreté, l’éducation, la résolution des conflits, l’emploi des jeunes… Je suis convaincu que nos pays ont compris que pour arrêter la maladie, il va falloir s’inscrire dans une démarche plus prospective.
En attendant, l’essentiel des fonds nécessaires pour lutter contre le sida en Afrique viennent des pays du Nord…
En effet, la majorité de nos malades sont soignés grâce à des ressources étrangères. Et il y a un proverbe burkinabè qui dit : « Quand vous dormez sur la natte de votre voisin, c’est que vous dormez par terre. » C’est pour ça que nous continuons d’user de notre force de persuasion pour que les pays africains augmentent les ressources allouées au sida et certains pays ont déjà fait cet effort. Le Kenya par exemple a augmenté son budget sida de 18 %. L’Afrique du Sud de 30 %, ce qui le monte à 1 milliard de dollars. En plus, ce pays a pris les devants en négociant la baisse des prix des ARV d’environ 45 % avec des entreprises pharmaceutiques.
Quels sont les pays qui ont fait le plus de progrès en dix ans et, à contrario, quels sont ceux qui sont à la traîne ?
Tous les pays ont fait des progrès, mais c’est vrai qu’il y en a certains où c’est absolument remarquable. Le Botswana par exemple : on pensait que la prise en charge des malades allait y disparaître, tant ses moyens financiers sont limités. Et pourtant celle-ci a presque atteint les 100 % pour les personnes infectées. La transmission mère-enfant y est également presque éliminée. Au Mali, 80 % des personnes infectées sont sous traitement. Les progrès les moins spectaculaires, nous les rencontrons dans les grands pays, comme le Nigeria, où il est difficile de mobiliser les énergies décentralisées. Comme dans les pays en crise ou en situation post-crise. Là où les infrastructures sanitaires ont été détruites ou partiellement détruites et qu’il faut tout refaire. Là où les femmes sont victimes de violences, et sont forcées d’avoir des rapports sexuels.
Quels sont vos prochains objectifs ?
Nos objectifs ? Négocier des espaces nouveaux, développer des partenariats nouveaux entre pays du Sud, notamment en discutant avec les Brics [Brésil-Inde-Chine-Afrique du Sud, NDLR]. En formant des pôles d’excellences, avec transfert de compétences, pour produire les ARV sur place et – pourquoi pas ? – développer des nouvelles molécules. En créant une Agence africaine du médicament, ce qui permettrait l’harmonisation des traitements sur tout le continent et aussi, de négocier des prix avantageux. D’une certaines façon, nous sommes otages du Nord et de sa science. Il faut que nous arrivions, nous aussi, à prendre les choses en main.
Quel message allez-vous tenter de faire passer aux chefs d’État africains qui sont à New York pour la réunion de haut niveau ?
Que la valeur d’une vie est relative à l’endroit d’où l’on vient. On ne meurt plus du sida dans les pays du Nord. Il n’y a plus de contamination mère-enfant en Occident. Dans cette partie du monde, le sida est devenu une maladie chronique. Sur notre continent, il y a plus de 22 millions de porteurs du virus. Et seulement 4,5 millions de personnes sous traitements, alors que 7 autres millions qui en ont besoin n’y ont pas accès. Leurs vies sont en danger. Si on ne fait rien et vite, elles vont mourir.
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Propos recueillis par Malika Groga-Bada
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