Maroc : le grand essor des zones d’activités spécialisées

Quatre ans après la relance du plan industriel, les zones d’activités spécialisées, en plein essor, essaiment dans tout le Maroc. Avec plus ou moins de réussite.

Une unité de microélectronique de Nemotek, à Technopolis, près de Rabat. © Hassan Ouazzani pour J.A.

Une unité de microélectronique de Nemotek, à Technopolis, près de Rabat. © Hassan Ouazzani pour J.A.

Publié le 2 août 2013 Lecture : 8 minutes.

Derrière les baies vitrées, des hommes et des femmes en tenue immaculée, coiffés de charlotte et équipés de masque de protection, s’affairent sur des machines high-tech. On se croirait dans une chambre stérile d’un hôpital de pointe… Il s’agit, en réalité, de la salle blanche de l’usine ultramoderne de Nemotek Technologie. Ses ingénieurs et techniciens contrôlent la production de mini-caméras : des lentilles et capteurs pour la téléphonie mobile, les ordinateurs portables, l’imagerie médicale ou encore l’industrie automobile. Ici, tout le processus est en anglais et la moyenne d’âge des employés, pour la plupart marocains, est de 25 ans. Ils sont environ 200 à travailler dans ce complexe extrêmement sécurisé, implanté sur le parc de Technopolis, dans la banlieue de Rabat.

Dans ce complexe ultrasécurisé, on élabore des pilules intelligentes.

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Niches

Filiale de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), Nemotek a démarré ses activités en 2008 en reprenant la licence américaine de Tessera. Des projets de recherche et développement sont menés avec des équipes scientifiques basées outre-Atlantique, notamment sur les pilules intelligentes, utilisées en médecine. Une fois absorbées par le patient, elles parcourent le système digestif, livrant des images très précises aux praticiens leur permettant de dresser un diagnostic. « Nos clients sont en Corée, à Taïwan, au Japon, explique Zouhair Sbiaa, vice-président de Nemotek. Ils préfèrent venir ici car nous veillons à la sauvegarde de la propriété intellectuelle. Elle est plus difficile à préserver en Asie. On travaille aussi avec des entreprises européennes, sur des marchés de niche et pour des prototypes. » Ingénieur, Zouhair Sbiaa a passé quinze ans en Californie, au coeur de la Silicon Valley. Aujourd’hui, il est fier de participer au développement du pays et à la formation des jeunes Marocains, malgré la baisse de salaire de près de 30 % qu’il a dû accepter en revenant au pays. Vitrine d’un royaume moderne dont l’économie est tournée vers l’extérieur, Nemotek n’est que l’une des nombreuses sociétés désormais installées dans les parcs technologiques développés ces dernières années dans le cadre des plans de régionalisation. Le grand timonier de cette politique, née d’une volonté royale, est l’ancien Premier ministre Driss Jettou. En nommant ce capitaine d’industrie à la tête du gouvernement en 2002, Mohammed VI voulait que la politique économique soit revue en profondeur. Et elle a profondément changé. En 2003, les autorités ont lancé le plan d’industrialisation Émergence (élaboré avec le cabinet de conseil McKinsey), qui a été relancé en 2009 à travers le Pacte national pour l’émergence industrielle (PNEI). Appuyé par l’État, il se concentre sur le développement de six secteurs : l’automobile, l’électronique, l’aéronautique, l’agroalimentaire, le textile et l’externalisation de services (alias business process outsourcing, BPO).

Allégements fiscaux

Quatre ans après son lancement, ce programme a permis la création de 85 000 emplois. Mais la crise économique et financière internationale, doublée d’une grande morosité dans la zone euro, a eu évidemment une incidence sur l’évolution des activités. Si certains domaines progressent, à l’image des industries extractives (plus 17 000 postes en 2012), d’autres souffrent. Parmi les plus sinistrés : le textile, la bonneterie, l’habillement et le cuir. Selon le Haut-Commissariat au plan (HCP), 24 000 emplois ont été perdus chaque année entre 2009 et 2011 dans l’industrie et l’artisanat, et 28 000 rien qu’en 2012. Pas de quoi, cependant, remettre en cause le PNEI. Pour en assurer la mise en oeuvre et aider les entreprises, le gouvernement utilise notamment les institutions comme la CDG et poursuit la mise à niveau des infrastructures, ainsi que le développement d’un réseau de zones économiques spéciales, dans lesquelles les investisseurs bénéficient d’allégements fiscaux et d’autres dispositifs incitatifs.

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Pour le moment, la plus grande réussite est celle de Tanger Med, dont la zone franche a attiré Renault et, dans son sillage, plusieurs sous-traitants. À Tanger, le constructeur français fabrique deux modèles d’entrée de gamme, avec une ligne de production dont la capacité sera de 400 000 voitures par an à terme. L’essor de Tanger a rééquilibré la carte du tissu économique marocain, autrefois concentré à Casablanca. Ce qui n’empêche pas la capitale économique de poursuivre son développement, en particulier sur le site de Casanearshore. Sur 164 000 m2, occupés à près de 80 %, le parc d’activités compte 70 entreprises, dont de grands groupes de l’automobile, des services bancaires et financiers et de l’aéronautique. Dans ce dernier secteur a été créé Midparc, situé à côté de l’aéropôle de Casablanca, où de nombreux fournisseurs comme Aircelle, SERMP et Ratier-Figeac sont déjà établis et où le canadien Bombardier prépare l’installation d’une usine (un investissement de 200 millions de dollars, soit 153 millions d’euros). Et c’est à moins d’une heure de route, en banlieue de Rabat, que le parc Technopolis, ouvert en 2009 pour accueillir des unités industrielles de pointe et des activités offshore, monte en puissance. Forte de cette dynamique, MedZ, filiale de la CDG, travaille au développement de nouvelles zones industrielles et commerciales.

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Maroc : dans l’oeil de Nemotek
Omar Lahlou, Caisse de dépôt et de gestion (CDG)
Les zones économiques spéciales peuvent-elles transformer l’Afrique ?

Le parc Fès Shore devrait s’étendre sur 20 ha et offrir 130 000 m2 de plateaux de bureaux et de services. Une première tranche de 16 000 m2 a déjà été livrée et les premières sociétés s’installent. Dans l’Oriental (nord-est du pays), à 5 km de l’aéroport et intégré dans la technopole d’Oujda, le parc Oujda Shore compte déjà 11 000 m2 de bâtiments construits (sur les 20 000 prévus).

Public-privé

Marrakech et Agadir seront les deux prochaines villes à bénéficier du programme. Premières en termes d’implantation, les entreprises du Vieux Continent ont réduit leurs investissements, et le rythme de remplissage des parcs baisse. Des études sont donc en cours pour évaluer les secteurs les plus porteurs et identifier de nouveaux partenaires, notamment dans les pays arabes et en Asie. Sur tous ces sites, les autorités ont créé des facilités (guichet unique, services de transport, de restauration, banques, lieux de culte, etc.) et les sociétés collaborent à la formation en créant elles-mêmes des centres d’apprentissage ou en travaillant avec les écoles existantes, auprès desquelles elles expriment leurs besoins. Exemple de ce partenariat public-privé : l’Institut de formation aux métiers de l’industrie automobile (Ifmia), le centre de formation de Renault. L’État a investi 8 millions d’euros pour sa construction. Plus de 5 000 étudiants sont déjà sortis de l’école et 4 200 d’entre eux travaillent aujourd’hui pour le groupe français.

Abdelhakim Zirzir : « Entreprises et universités doivent travailler en synergie »

L’économiste Abdelhakim Zirzir, directeur de Technopolis, revient sur l’évolution du pôle de compétitivité rbati depuis son ouverture fin 2008.

Jeune afrique : Comment le parc de Rabat s’est-il développé ?
   Abdelhakim Zirizir : Environ 58 000 m² de bâtiments ont été livrés sur les 205 000 m² prévus. Le parc compte actuellement une trentaine d’entreprises (dont Axa, Cap Gemini, CGI, Gemalto, Amazon, HP CDG, Sofrecom…). Elles emploient plus de 8 000 personnes dans la zone d’activités offshore, dont le taux d’occupation est de 90 %. Nous hébergeons aussi des industriels, comme Nemotek Technologie (nanotechnologies) et Lear (composants électroniques pour l’automobile). L’objectif à terme est d’employer plus de 30 000 personnes sur le site.

Quels services proposez-vous aux entreprises et à leurs employés ?
   Le parc, entièrement clos et sécurisé, met à leur disposition un guichet unique pour l’installation, un bureau de légalisation de signature, les services de l’Anapec [Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences], des offres en matière de formation avec l’OFPPT, la maintenance des bâtiments… Pour les salariés, des agences bancaires, une poste, un service médical et un restaurant interentreprises sont implantés dans le parc, ainsi que des espaces food court. Nous avons aussi aménagé des lieux de prière. L’installation d’une crèche et la construction d’une mosquée sont prévues, ainsi que celle d’un complexe sportif. Bientôt les visiteurs pourront séjourner au sein même du site, où le groupe français Accor prévoit de construire un Ibis et un Novotel.

Le centre-ville est à près de 20 km. Comment les salariés viennent-ils ?
   Certains viennent avec leur propre voiture et se garent sur les parkings ; quelques sociétés ont organisé un système de transport spécial pour leurs salariés. Mais nous avons mis en place un service de transport collectif mutualisé, pour lequel nous avons négocié avec un prestataire le trajet et les points de ramassage en ville.

Les entreprises trouvent-elles localement les compétences dont elles ont besoin ?
   Notre modèle favorise la synergie entre les milieux économiques et académiques, notamment en matière de recherche et développement. Depuis 2010, le site abrite la nouvelle université internationale de Rabat, d’où sortent 1 000 diplômés par an, et bientôt 5 000. De gros efforts ont été faits et les entreprises trouvent désormais bien plus facilement les profils d’ingénieurs, de techniciens, de managers qu’elles recherchent. Les universités et centres d’apprentissage travaillent avec elles pour définir les besoins et établir les filières de formation des futurs cadres. P.A.

Attractions tangéroises

Comptant parmi les projets phares de la politique industrielle marocaine de ces dix dernières années, la zone franche de Tanger (TFZ) accueille désormais près de 500 entreprises actives dans l’aéronautique, l’automobile, l’électronique et le textile, pour environ 35 000 emplois.

« Nous en espérons 45 000 d’ici à 2015 », explique Mehdi Tazi de l’agence Tanger Med, la société d’économie mixte gestionnaire de la zone. Alors que des extensions sont en cours (comme la Cité automobile), TFZ profite de ses atouts : une proximité avec l’Europe, de nouvelles infrastructures, un chemin de fer et une autoroute reliant l’agglomération aux grandes villes du Sud, des compétences et une main-d’oeuvre bon marché. Portée par la volonté de l’État et des autorités locales de faire de Tanger une plateforme industrielle et portuaire, la renaissance socio-économique de la région devrait bientôt s’accompagner de nouveaux programmes : rocade et autoroute de l’Est, logements sociaux, modernisation de la ville, mais aussi extension de la capacité du port de Tanger Med (ouvert en 2007), dont la capacité de traitement sera portée à 8,5 millions d’EVP (l’unité de mesure des conteneurs, représentant environ 38,5 m3) en 2015, lorsque Tanger Med II sera mis en service. Le site subit cependant la concurrence du port espagnol d’Algésiras et a connu une année 2012 difficile, avec un trafic en baisse de 1,8 million d’EVP. Mais sur les six premiers mois de 2013, il est reparti à la hausse (plus de 37 %). Les affaires reprennent. P.A.

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