Libye : quand les Subsahariens sont pris pour cible

Ils sont libériens, maliens, soudanais, tchadiens, somaliens, sénégalais, nigérians… Chassés par la guerre en Libye, ils ont été pris entre deux feux. Victimes des obus de Kadhafi, mais aussi et surtout des exactions commises par des rebelles et des populations civiles de l’Est de la Libye. Ces derniers qui les prennent pour des mercenaires subsahariens du « Guide » en profitent pour exprimer violemment leur racisme ordinaire. Reportage.

Un Subsaharien suspecté de faire partie des mercenaires pro-Kaddafi. © D.R.

Un Subsaharien suspecté de faire partie des mercenaires pro-Kaddafi. © D.R.

Publié le 20 mai 2011 Lecture : 3 minutes.

Dans les yeux de James, il y a encore la peur. James est originaire du Liberia et travaillait comme soudeur en Libye lorsque le conflit a débuté. Comme plus de 80 000 migrants, principalement d’origine subsaharienne et vivant dans l’est du pays, il s’est résigné à fuir vers l’Égypte voisine. Il se retrouve aujourd’hui au poste-frontière égyptien de Salloum, attendant d’être rapatrié vers Monrovia.

Pourtant, James habitait Tobrouk, où il n’y a pas eu de combats ou presque. Ce ne sont donc pas les bombardements qui l’ont contraint à fuir. S’il est parti, c’est « parce que là-bas, tous les Africains "noirs" étaient considérés comme des mercenaires au service de Kadhafi […] Mon patron était un Syrien, poursuit James, un jour, il est venu me voir et m’a dit : "Il faut que tu partes, "ils" ont commencé à se bagarrer avec les noirs." ».

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Vols et assassinats

Des insultes dans la rue, mais aussi des vols et des agressions. Ici, dans le camp de réfugiés de Salloum, à la frontière égytpo-libyenne, tous ou presque racontent les mêmes histoires d’agression et de racisme. Celles de groupes armés pénétrant de force dans les maisons des Africains, et volant tout ce qu’ils peuvent  trouver (télévisions, argent, téléphones portables…). « Plusieurs témoignages concordant pour dénoncer des violences importantes à leur encontre », précise Geneviève Jacques, membre d’une mission de la FIDH à Salloum, du 8 au 15 mai.

Des récits corroborés par un médecin darfouri, lui même réfugié, et qui vivait depuis plusieurs années en Libye. Il affirme avoir soigné au sein même du camp de Salloum des blessures parfois graves et évoque également des cas de viols, plus rares. Enfin, de nombreux réfugiés confirment qu’il y a eu des assassinats. Parmi ceux qui ont pu conserver leurs téléphones portables, certains montrent des vidéos de mauvaise qualité. Mais l’authenticité de ces images de cadavres, exhibés par des hommes en armes, restent invérifiables.

Pour quelle raison les Subsahariens sont-ils régulièrement pris pour cible ? Parmi les causes les plus souvent citées, figure l’allocution du président soudanais El-Béchir qui, dès le 18 février, accusait les rebelles darfouris du JEM (Mouvement Justice et Équité) de faire partie des troupes de mercenaires de Kadhafi. Des images passées en boucle à la télévision et qui expliquent entre autres, selon Geneviève Jacques, « pourquoi la communauté darfourie a été particulièrement visée par ces agressions ».

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Discrimination quotidienne

Chameliers, ouvriers agricoles, techniciens… Quels que soient leur métier, les travailleurs migrants coincés à la frontière de Salloum affirment aussi qu’en dépit de l’assurance de meilleurs salaires, la vie dans la Libye de Kadhafi n’était pas des plus simples pour des Subsahariens noirs de peau. Peu ou pas de relations avec les populations locales, scènes de racisme quotidiennes (insultes, jets de cailloux, brimades …), et la prison, souvent, pour ceux qui étaient pris sans papiers.

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Mohamed, un jeune Somalien de 22 ans raconte qu’il a passé « plusieurs séjours en prison », ajoutant que « seuls ceux qui avaient un peu d’argent pouvaient sortir plus vite ». Avant même la crise, la Libye offrait un climat propice au déchaînement de violences contre un groupe désigné comme complice d’un Kadhafi qui, sans le concours de l’Otan, resterait inébranlable. Comme James, ils sont donc nombreux à ne pas vouloir retenter l’aventure libyenne. « Je préfère retourner au Liberia, assure-t-il. Là-bas, au moins, il y a la paix maintenant. »

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Pour en savoir plus, lire ici le compte-rendu de la mission d’enquête de la FIDH à Salloum.

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