Le journaliste algérien Khaled Sid Mohand décrypte la crise syrienne

Khaled Sid Mohand, journaliste algérien indépendant, a été libéré le 3 mai par les autorités syriennes, après trois semaines de détention. En conférence le 13 mai à Paris, il est revenu sur son expérience et son interprétation de la révolte syrienne.

Le journaliste algérien Khaled Sid Mohand après sa libération le 4 mai 2011 à Damas. © AFP

Le journaliste algérien Khaled Sid Mohand après sa libération le 4 mai 2011 à Damas. © AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 14 mai 2011 Lecture : 3 minutes.

« C’était une embuscade. Le matin du 9 avril, une jeune femme m’appelle et me propose un rendez-vous pour me remettre des informations. Sur place, j’ai été arrêté par sept hommes des services de renseignements qui m’ont emmené chez moi pour perquisition avant de me conduire, la tête entre les genoux, jusqu’à un endroit que j’ai pu finalement identifier comme le quartier général des services de renseignements. »

Pour des raisons qui lui échappent encore, Khaled Sid Mohand est resté plus de vingt jours au secret, dans une cellule de deux m2, sans fenêtre ni toilettes. « Ils m’ont un peu tabassé les deux premiers jours, mais je n’ai pas subi le sort des autres détenus qui étaient torturés quotidiennement. »

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Ce récit, Khaled Sid Mohand l’a vingt fois répété depuis son retour à Paris, le 7 mai. Aux journalistes présents au CAPE cinq jours plus tard, il tenait surtout à apporter son analyse de la situation syrienne qui, selon lui, échappe encore à la compréhension de beaucoup de médias internationaux. « À ce que j’en sais, nous n’étions que deux journalistes étrangers à Damas au moment de mon arrestation. » Cette absence d’observateurs explique les interprétations parfois simplistes ou erronées qui se sont répandues sur les évènements de Syrie.

Popularité de Bachar el-Assad

« Comment expliquer le retard du soulèvement syrien par rapport aux autres révoltes ? On a beaucoup dit dans les médias occidentaux que l’omniprésence des services de sécurité avait freiné le mouvement, mais ils sont encore plus nombreux en Tunisie qu’en Syrie. Ce qui a, tout d’abord, échappé aux observateurs, c’est la popularité dont jouissait le président Bachar el-Assad. » Dernier leader arabe résistant ouvertement à l’hégémonie américaine, sa politique étrangère faisait, en effet, l’objet d’un consensus qui transcendait les divisions nationales : diplomate très habile, il n’aurait ainsi aucune difficulté à se servir de possibles sanctions onusiennes pour éveiller la fibre nationaliste du peuple.

En outre, la situation socio-économique des Syriens était plutôt bonne : l’éducation et les soins de santé sont subventionnés, l’économie est relativement dynamique et 14% de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre 50% en Égypte. Enfin, la libéralisation des technologies de l’information, dans les années 2000, a apporté un bol d’air à la jeunesse et convaincu des velléités réformatrices du président. « En janvier dernier, onze ans après son accession, Bachar el-Assad était encore en état de grâce », conclut le journaliste.

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Quelle démocratie ?

Autre différence fondamentale avec des pays comme la Tunisie, l’Égypte ou la Libye : « tout le monde a peur de l’effondrement du régime ». La perspective d’une ingérence saoudienne, la menace salafiste et surtout la hantise d’un éclatement de la Syrie sur le modèle de l’Irak voisin dissuadent encore la plupart des manifestants de vouloir la révolution, malgré le nombre très élevé de morts. La notion de démocratie est elle-même dévaluée dans l’opinion syrienne qui garde en aversion son plus grand promoteur régional : George W. Bush. « Demandez à un Syrien s’il désire la démocratie, il vous questionnera d’un air dubitatif : « La démocratie comme en Irak ou au Liban ? »

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Radicalisation des manifestants

Comment est-on arrivé à une situation aussi dramatique ? Pour Khaled Sid Mohand, la gestion très maladroite des premiers évènements de Deraa a d’abord provoqué la colère du peuple. Celle-ci aurait pu être facilement maîtrisée, mais la voie de la terreur adoptée par le régime a enclenché le cycle contestations–répressions auquel nous assistons.

Aujourd’hui, les manifestants se sont radicalisés, et leur colère s’est cristallisée autour de personnalités controversées du régime, comme l’homme d’affaire Ramy Makhlouf, symbole de la corruption, et Maher el-Assad, frère du président et personnage clé du système sécuritaire. Cependant, la majorité du peuple continuerait de garder l’espoir d’un règlement apaisé : « même après le très décevant discours de Bachar el-Assad du 17 avril, les gens continuaient à croire en lui. Et beaucoup pensent encore qu’un arrangement est possible. »

Une anecdote illustre le décalage entre la position intransigeante des autorités et l’opposition ferme, mais encore indulgente, du peuple : « Quand les habitants des alentours de Deraa ont vu passer les premières colonnes de chars, ils ont cru avec enthousiasme que l’armée allait enfin délivrer le Golan [région au sud de la Syrie, occupée par Israël depuis 1967, NDLR]. Leur sang s’est glacé d’horreur quand ils ont compris que ces bataillons étaient lancés contre eux. »

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