Dossier urbanisme : Rabat, de la médina au high-tech
De nouveaux quartiers, un tunnel et un pont pour relier les deux centres de Rabat… Le plan urbain lancé en 2006 va bon train. Et c’est une capitale marocaine profondément transformée qui accueillera en octobre le sommet mondial des villes.
Dossier urbanisme : quelles villes demain ?
Dans l’embouchure du fleuve Bouregreg, les barcassiers mènent leur bateau d’une rive à l’autre. Ces infatigables rameurs assurent depuis des siècles la traversée des passagers et des marchandises entre Rabat et Salé. « Nous avons voulu maintenir leur activité, car ils font partie intégrante du patrimoine de la région, explique Lemghari Essakl, directeur général de l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg. Nous leur avons permis de s’organiser et, notamment, de changer leurs embarcations. » Le décor dans lequel ils évoluent a lui aussi bien changé ces dernières années. Car la capitale du royaume est en pleine métamorphose. Parmi les bouleversements les plus visibles, un nouveau pont, une marina et un tramway cohabitent désormais avec le patrimoine qui fait l’identité de la ville depuis des siècles, les deux médinas (de Rabat et de Salé) et la casbah des Oudayas, sans que celles-ci y perdent leur âme et leur pur style arabo-andalou.
Tout a commencé au début des années 2000. Après cinq plans en cinquante ans, qui se sont tous soldés par un échec, Rabat, ville impériale érigée en capitale et centre administratif en 1912, sous Lyautey, continuait désespérément de tourner le dos à son environnement. À la mer d’abord, et à sa voisine, la frondeuse Salé, dont elle est séparée par le Bouregreg.
Pour lui donner un nouveau souffle, le roi Mohammed VI a confié à un bureau d’études (qui deviendra l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg) la mission de remodeler complètement le site sur une superficie d’environ 6 000 ha, depuis l’estuaire jusqu’au barrage Sidi-Mohammed-Ben-Abdallah. La réflexion a été menée par un groupe de travail pluridisciplinaire composé d’archéologues, d’historiens, d’architectes, d’urbanistes, d’ingénieurs, de financiers, etc. Il a dû tenir compte de nombreux impératifs : la préservation du patrimoine historique, la sauvegarde et la mise en valeur de l’environnement, l’amélioration des services aux habitants, ainsi que le redéploiement économique, notamment pour relancer la création d’emplois. Dans le même temps, la législation a été amendée afin d’éviter les conflits de compétences entre l’État et les différentes collectivités locales associées au projet.l'image." class="caption" style="margin: 3px; border: 0px solid #000000; float: right;" />
Fluidifier
Les premiers coups de pioche ont été donnés en 2006. Sept ans plus tard, on constate des résultats : désensablement du fleuve, dépollution de différents sites, réhabilitation des berges, restauration des remparts, création d’une marina, de voies de circulation, de liens entre les différents espaces urbains, etc. Depuis la mi-2011, les Rbatis disposent d’un tramway, qui transporte chaque jour plus de 100 000 usagers d’un bout à l’autre de la ville. Le nouveau pont enjambant l’estuaire facilite le passage entre Rabat et Salé, tandis qu’un tunnel sous les Oudayas permet de fluidifier la circulation sur la corniche.
Il y a bien entendu des mécontents. Les programmes résidentiels (encore inachevés) situés à l’embouchure du côté de Salé sont notamment loin de faire l’unanimité. Le rachat des titres fonciers et l’indemnisation des habitants déplacés ne se sont pas faits sans heurts. Cependant, dans l’ensemble, les différents chantiers ont déjà rendu son charme à une ville menacée par le développement de l’habitat anarchique, la multiplication des décharges sauvages et la pollution.
Les opérations d’aménagement avancent aujourd’hui plus lentement, en raison de la crise. Mais les chantiers ne sont pas arrêtés : ceux d’un autre pont sur le Bouregreg et de la nouvelle cité de Bab al-Bahr (120 ha) se poursuivent, et les travaux de l’autoroute qui reliera l’aéroport de Salé au centre-ville débuteront en septembre. Dans les prochaines années, un port sur la façade atlantique devrait aussi voir le jour pour accueillir les navires de croisière, ainsi qu’un nouveau port de plaisance en face des Oudayas, un grand théâtre au style futuriste, ou encore le futur hôpital du Bouregreg. Sans compter les différents programmes de construction de logements, de commerces, d’établissements touristiques et de bureaux, en particulier dans le quartier de la grande esplanade dominant l’oued Bouregreg.
Pôle business
En plus de ces projets pilotés par l’Agence, à l’autre bout de la ville, l’aménagement de Hay Riad (Sud) se poursuit. Ce quartier résidentiel et d’affaires créé à la fin des années 1970 s’étend sur environ 570 ha. Il a permis de décongestionner le centre-ville en accueillant plusieurs ministères et administrations, de grandes enseignes, ainsi que les sièges d’entreprises marocaines et internationales (Maroc Télécom, Label’Vie, Holcim Maroc, etc.).
Au sud-est, le parc Technopolis, développé par Medz, filiale de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), continue de se remplir. La nouvelle université internationale de Rabat y accueille plus de 1 000 étudiants par an, nombre de sociétés offshore y sont déjà installées (dont Logica, Sofrecom, Cegedim, Devoteam, Axa) et le groupe Accor y a acquis récemment des terrains afin d’y construire des hôtels pour héberger les hommes d’affaires de passage. Pour attirer les investisseurs, le technopôle a pris des mesures incitatives en attendant la mise en place d’une zone franche. À terme, les 300 ha seront consacrés au développement des technologies et des industries high-tech avec l’objectif de faciliter les projets de recherche et développement (R&D) et les transferts de technologies entre le pôle universitaire et les entreprises.
Un enjeu de taille à l’heure où l’emploi est une préoccupation majeure et alors que l’agglomération du Grand Rabat (Rabat-Salé-Témara) ne cesse de croître. Elle compte environ 2 millions d’habitants et devrait, selon les projections, passer le seuil des 4,4 millions en 2030, dont 2,4 millions à Salé. D’où la nécessité de redéployer les zones de développement économique et de soutenir l’implantation de nouvelles filières. Rabat est loin d’avoir fini sa mue.
Rive droite, rive gauche
Peuplé depuis l’Antiquité, l’estuaire du Bouregreg recèle des trésors archéologiques de toutes les époques.
Bien avant l’arrivée des Phéniciens, au Ve siècle avant J.-C., les tribus autochtones amazighs étaient établies sur la rive gauche du Bouregreg. « Dès l’aube de l’humanité, les hommes se sont installés dans les environs de cet estuaire riche en faune et en flore, doté d’un climat tempéré, explique Mohamed es-Semmar, archéologue et historien. Cette présence remonte à 160 000 ans, d’après les vestiges découverts dans les grottes Dar Sultan, Harhoura et des Contrebandiers. »
Les premières fouilles datent du protectorat. Celles entreprises dans les années 1950 et 1960 ont permis de découvrir le site du Chellah sur la rive droite (à Salé). Berceau de la présence romaine, il avait été abandonné jusqu’à ce que la dynastie mérinide choisisse, au XIVe siècle, d’y édifier sa nécropole. En 1997, la construction de l’autoroute a permis de mettre au jour le site de Khedis, où était érigé un fort romain. Et en 2002-2003, une grande campagne de recherches fut entreprise sur le site de Ribat Tachefin, près des Oudayas. Parmi les découvertes, les fondations de la muraille almoravide et d’un aqueduc almohade, datant respectivement de la première et de la seconde moitié du XIIe siècle. Enfin, en 2006-2007, en draguant le Bouregreg, les chercheurs ont découvert nombre d’objets de marine de diverses époques, ainsi que des colonnes de marbre blanc de la période romaine. Des appels d’offres internationaux ont été lancés récemment afin de poursuivre les fouilles sur les sites du Chellah et des Oudayas, qui sont loin d’avoir livré tous leurs secrets. P.A.
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