Parlons-nous tous « l’africain » ?

Une récente étude publiée dans la revue scientifique américaine Science présente l’Afrique comme le berceau de toutes les langues modernes. Une hypothèse qui ravive le débat sur l’existence potentielle d’une langue originelle.

La thèse de Quentin Atkinson va raviver les débats entre linguistes. © Capture d’écran

La thèse de Quentin Atkinson va raviver les débats entre linguistes. © Capture d’écran

Publié le 23 avril 2011 Lecture : 4 minutes.

Et si toutes les langues provenaient d’une même et unique langue ancestrale ? Du mythe biblique de Babel, qui impute la diversité des langues à un châtiment divin, aux hypothèses scientifiques, le débat a fait couler beaucoup d’encre. D’où ce verdict de la Société linguistique de Paris dans ses statuts de 1866 : toute discussion sur l’origine des langues est bannie.

Un article publié le 15 avril 2011 dans la revue Science vient relancer le débat. Son auteur, le Néo-Zélandais Quentin Atkinson atteste qu’en Afrique, une langue unique, ancêtre de toutes les langues modernes aurait été parlée par les premiers habitants du continent, il y a environ soixante mille ans.

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Pour François Jacquesson, directeur du laboratoire de recherche « Langues et civilisations à tradition orale » (Lacito) au CNRS, l’hypothèse d’une langue-mère venue d’Afrique n’a rien d’inédit. Déjà éprouvée, elle serait le fruit d’un raisonnement par analogie : « L’homme est doté de capacités de langage. Les historiens pensent que les lignes d’hominidés sont nées en Afrique, résume le chercheur. Du coup les capacités de langage seraient nées en Afrique. »

De la génétique à la linguistique

La thèse de Quentin Atkinson s’appuie sur une méthodologie empruntée à la génétique : schématiquement, si un groupe d’individus s’éloigne de son berceau géographique, sa diversité génétique diminue. Une logique que le chercheur tente d’appliquer à la linguistique. Ainsi, de la même manière qu’une population migrante partant d’Afrique perd de sa diversité génétique, des individus s’éloignant de leur population d’origine, utilisent moins de phonèmes (les plus petites unités de langage). La langue utilisant le plus de phonèmes serait donc à l’origine de toutes les autres.

Or Quentin Atkinson, après avoir étudié 504 langues, constate que les dialectes utilisant le plus de phonèmes sont africains. Ceux qui en utilisent le moins sont parlés de l’autre côté du globe, en Amérique du Sud et dans les îles tropicales du Pacifique. Conclusion : plus les peuples se sont éloignés d’Afrique, plus leurs langues se sont appauvries en phonèmes. De quoi supposer que l’Afrique est bel et bien la terre mère de toutes les langues.

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Outre-Atlantique, des réactions de spécialistes américains se veulent nuancées, mais enthousiastes. Ainsi, pour Donald A. Ringe, linguiste à l’Université de Pennsylvanie, cité par le New York Times, « il est trop tôt pour dire que la thèse d’Atkinson est recevable, mais si elle l’est, il s’agit d’une des publications les plus intéressantes de l’histoire de la linguistique ces dix dernières années ».

D’autres, comme Lolke van der Veen, chercheur à l’université de Lyon 2, et responsable du projet « Langues, gènes et cultures bantu », ne sont pas de cet avis. « On ne peut transposer directement les principes de la génétique des populations aux langues. Un goulot d’étranglement peut en effet réduire la diversité génétique mais je ne vois absolument pas comment un tel phénomène pourrait affecter la diversité sonore d’une langue. D’ailleurs, la complexité sonore d’une langue n’est pas qu’une affaire de phonèmes, mais aussi de combinaisons de phonèmes. »

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Langue-mère, chimère ?

Traditionnellement, dans la communauté scientifique, la thèse d’une langue originelle suscite plutôt la suspicion. Quentin Atkinson n’est pas le premier linguiste à s’appuyer sur la génétique. D’autres s’y sont essayés bien avant lui.

On doit par exemple à Joseph Greenberg dans les années 1950, le regroupement d’un millier de langues africaines en quatre grandes familles. Dans les années 1970, l’hypothèse d’une langue-mère trouve son représentant en la personne de Merrit Ruhlen. Déjà, le linguiste cherche à comparer données linguistiques et humaines, partant du postulat que, s’il était possible de reconstituer l’histoire des lignées humaines, pourquoi l’histoire du langage ne pourrait-elle pas suivre un chemin parallèle ?

Sujette à beaucoup de discussions, la thèse subit des objections de méthode. « Les données de travail ne sont pas les mêmes », précise François Jacquesson. « Nous connaissons l’histoire des langues sur une très courte période. Pour les gènes, c’est l’inverse. On dispose de beaucoup de données, concernant beaucoup de groupes humains, mais ce qu’on ne sait pas sur les gènes, c’est leur histoire. Ce n’est pas comparable. La linguistique et la génétique s’étudient sur des échelles de temps très différentes : les données sur les langues remontent à quelques milliers d’années, celles sur les gènes à plusieurs millions.»

À défaut de connaissances historiques exhaustives, reconstituer la généalogie des dialectes reste donc du domaine de l’hypothèse. S’il est un constat dans l’histoire des langues parlées, c’est plutôt celui de leur diversité. À ce jour, 6 000 d’entre elles ont été répertoriées.

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