Haïti : un signe d’espoir au milieu des décombres
Plus d’un an après le violent séisme qui a ravagé l’ancienne « perle des Antilles », les stigmates de la tragédie restent encore tangibles. Reportage de notre envoyée spéciale dans la commune de Carrefour, à une dizaine de kilomètres de la capitale haïtienne.
Assis sur sa brouette rouge remplie de gravats, le visage poussiéreux, il fait une pause à l’ombre d’un muret. Le soleil est déjà haut, et Louis Ronald enlève les décombres du séisme depuis l’aube. Le jeune homme de 25 ans vit à Lamentin, un quartier de Carrefour, deuxième commune la plus grande à l’ouest d’Haïti, à dix kilomètres de la capitale Port-au-Prince. Après la sinistre secousse du 12 janvier, la zone habitée par 150 000 à 200 000 familles a été détruite à 70 %. La maison que Louis Ronald louait s’est presque entièrement écroulée, comme des milliers d’autres. Les bâches bleues ont remplacé les toits, et la tôle les murs de pierre.
« Après le tremblement de terre, on a vu énormément d’ONG défiler à Lamentin, se souvient Magdala Michel Jean-Pierre, coordinatrice générale de Mofca [Mouvement des femmes de Carrefour, créé en 1999]. Au final, rien n’a été fait alors nous, les femmes, nous avons pris les choses en main. » Pour preuve, sur les tee-shirts de tous les travailleurs, s’affiche en rose le slogan « Liberté, égalité, féminité ».
Crise des liquidités
L’énergique mère de trois enfants et ses amies de Mofca ont pris contact avec l’association Adra (Agence adventiste pour le développement et le secours), responsable de la distribution massive des kits alimentaires pour le Programme alimentaire mondial (PAM). Ainsi, 50 000 femmes ont pu en bénéficier. « Devant les craintes du gouvernement que cela n’affecte la production locale et pour continuer à aider les victimes, nous avons mis en place le programme "Vivres et argent contre travail", en collaboration avec les autorités haïtiennes et le PAM », poursuit Magdala. Le service d’aide humanitaire de la Commission européenne (Echo) a contribué à financer le projet à hauteur de 9 millions d’euros.
À Carrefour, 69 464 personnes (dont 75 % de femmes) y participent d’avril à mai 2011, soit 20 000 de plus qu’en octobre dernier, lorsque les opérations ont débuté. En tout, 160 programmes « Vivres et argent contre travail » ont été entrepris dans le pays, créant des emplois pour 110 000 Haïtiens, dans un pays où le taux de chômage avoisine 80 %. « Le séisme a entraîné une crise des liquidités très importante, explique Myrta Kaulard, représentante du PAM en Haïti. Redistribuer de l’argent par les emplois leur a permis d’acheter de la nourriture et de relancer la production locale. »
Trente quartiers ont déjà été déblayés à Carrefour et 800 maisons ont été dégagées. Pour une journée de travail – nettoyage des rues, reconstruction des systèmes d’égouts…-, les bénéficiaires ont un salaire versé en argent, en nourriture, ou les deux combinés. « Nous gagnons 200 gourdes par jour [moins de 3 euros, NDLR], mais ce n’est pas suffisant, estime Louis Ronald. Nous avons fait plusieurs demandes d’augmentation de salaire, sans succès. »
Michel Martelly, le nouveau président haïtien, le 20 mars 2011 à Port-au-Prince.
© AFP
Insécurité et promesses
Tous sont à mi-temps pour vingt-quatre jours seulement. Alors, ils travaillent dans l’électricité, la maçonnerie ou la mécanique pour compléter leurs revenus. « J’achète à crédit chez mes voisins car je n’ai pas de petit commerce », indique Elide Frederic, une pelle plus grande qu’elle à la main. À 62 ans, cette mère de cinq enfants à charge s’affaire dans les gravats. Elle habite encore la maison qu’elle louait, car la toiture en tôle n’a été que partiellement endommagée. Les habitants n’avaient pas réalisé avant le séisme que leurs logements n’étaient pas construits selon les normes.
Et maintenant, ce sont les camps d’hébergement qui accueillent les sinistrés. Malgré la fermeture d’une vingtaine, il en reste encore 170 à travers le pays. À un jet de pierre de Lamentin, ceux de Grace Village et Cité Castro Magnon ont reçu 60 000 familles. Alors qu’une totale insécurité y règne, il n’est pas possible de déplacer les tentes abimées par la pluie et le soleil vers les quartiers sinistrés. Dolorès Darius, jolie gamine élancée de 18 ans, vit sous l’une d’elles avec ses parents et ses trois frères et sœurs. « Les mères ont peur pour leurs filles, il y a chaque jour de nouvelles agressions », assure-t-elle. À Carrefour, on a dénombré en une semaine 20 viols sur les femmes et les petites filles.
Face à cette situation, Yvon Jerome, le maire de Carrefour, leur a promis qu’un plan de reconstruction serait bientôt présenté. Yves-Berman Thermilus, qui enseigne les sciences sociales sur place, est sceptique. « La saison des pluies va commencer, or nous n’avons pas de toit. Je suis réaliste, Michel Martelly n’a pour le moment fait que des promesses. » Et pourtant, s’il y a un nom sur toutes les lèvres à Lamentin, c’est celui du futur président haïtien. Face à des habitants déçus par les hommes politiques traditionnels, son programme – solidarité, sécurité, éducation et santé gratuites – a séduit. Louis Ronald a voté pour le chanteur car il rêve de pouvoir vivre à nouveau dans une maison. En attendant, sur le mur encore debout de celle qui était la sienne, s’affiche un immense portrait de Martelly. « Un signe d’espoir ».
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Par Justine Spiegel, envoyée spéciale à Port-au-Prince
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