Côte d’Ivoire : à Duékoué, « chaque camp avait sa liste noire »
À Duékoué, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, les populations vivent dans la terreur des massacres. Des milliers de réfugiés préfèrent vivre dans des conditions effroyables à la mission catholique plutôt que de risquer de subir de nouvelles représailles. Une crainte d’autant plus vive que de nombreux miliciens se cachent parmi les civils déplacés.
Beaucoup de ceux qui ont fui les massacres commis lors de la prise de Duékoué par les Forces républicaines (FRCI) d’Alassane Ouattara, le 29 mars, sont réfugiés à la mission catholique de la ville. Ils y vivent sous la protection des Casques bleus marocains de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) et refusent de rentrer chez eux, par peur de nouvelles représailles. Majoritairement issus de l’ethnie guéré, considérée comme favorable au président déchu Laurent Gbagbo, ils ont vu pour la plupart leurs maisons incendiées.
« On préfère mourir de faim, en groupe, ici, plutôt qu’être tués individuellement dehors », résume Mastien, 39 ans, enseignant. « On nous dit de rentrer chez nous, mais ceux qui ont tué nos frères ne vont-ils pas revenir ? », ajoute Sébastien Gouh. Comme lui, les 30 000 réfugiés redoutent de nouvelles exactions après les centaines de morts de fin mars.
"Conditions inhumaines"
À la mission, les conditions de vie sont pourtant extrêmement difficiles. Installés sous des tentes, les réfugiés sont en proie à la malnutrition, à la diarrhée, au paludisme. Les organisations humanitaires comme Médecins sans frontières (MSF), la Croix-Rouge et l’Action ivoirienne pour le bien-être de la famille (Aibef) sont dépassées par la situation. « Il y a aujourd’hui plus de 30 000 déplacés, qui vivent dans des conditions inhumaines : il y a deux décès par jour », se lamente le père Cyprien, qui assure la gestion du site.
« Depuis le 28 mars, nous avons eu plus de 40 accouchements », raconte Koffi Aboya, de l’Aibef. « Nous avons recensé 200 femmes enceintes. Nous n’avons plus de médicaments. Une femme qui s’était cachée 12 jours dans la brousse était si faible qu’elle a perdu ses jumeaux, elle n’avait plus la force de pousser » pour les mettre au monde.
Les Forces républicaines, embarassées par la situation, tentent de convaincre les réfugiés de retourner chez eux. Pour cela, ils, ont réuni une centaine de femmes dans la bibliothèque de la mission. « Notre rôle est d’assurer la sécurité pour que vous puissiez rentrer chez vous. La situation est dramatique ici, le cadre n’est pas sain, il faut dire à vos maris que vous êtes fatiguées et qu’il faut rentrer », explique Ouattara Kolo, un responsable des affaires sociales des FRCI qui promet de faire rétablir eau et électricité dans les quartiers dévastés. Mais l’assistance n’a pas l’air convaincue.
Des femmes dans le principal camp de réfugiés de Duékoué, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, le 18 avril 2011.
© Philippe Desmazes / AFP
Parmi les civils, des miliciens
Alice, 22 ans, raconte son histoire en donnant le sein à sa fille âgée de deux mois. « Au moment des combats, on est parti en brousse. On est revenu en ville parce qu’on croyait qu’il y avait de la sécurité. Mais dans la nuit, deux hommes se sont introduits dans ma maison, l’un d’eux avait un fusil, il m’a violée. »
Autre difficulté : parmi les civils se cachent vraisemblablement des miliciens. C’est en tout cas ce que pense un employé de la mission. « Il y a des centaines de miliciens parmi eux », assure-t-il. Des miliciens pro-Gbagbo accusés de nombreuses exactions contre leurs voisins dioula – dont certains sont aussi réfugiés dans un camp proche – ou contre des ressortissants ouest-africains.
« S’il y avait des combattants parmi nous, ils ne le sont plus », estime cependant Mastien. Mais il reconnaît que la situation n’est pas réglée. « Chaque camp avait ses listes noires. Si Gbagbo avait gagné, les représailles auraient visé l’autre côté… ». (avec AFP)
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