Côte d’Ivoire : « La guerre civile a déjà commencé »

Selon l’International Crisis Group, il faut se rendre à l’évidence : la guerre civile a déjà commencé en Côte d’Ivoire. Alors que les chefs d’État de la Cedeao se réunissent à Abuja mercredi et jeudi, tout sur le terrain semble lui donner raison.

Des Casques bleus de l’ONU gardent l’entrée du QG de l’ONUCI à Abidjan, le 20 décembre 2010 © AFP

Des Casques bleus de l’ONU gardent l’entrée du QG de l’ONUCI à Abidjan, le 20 décembre 2010 © AFP

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 23 mars 2011 Lecture : 4 minutes.

« La Côte d’Ivoire n’est plus au bord de la guerre civile, cette dernière a déjà commencé. » Si le constat de l’International Crisis Group (ICG) est amer, il est cependant difficilement contestable. En effet, les camps du président sortant Laurent Gbagbo et du président élu Alassane Ouattara sont en confrontation ouverte depuis plusieurs semaines, non seulement dans l’ouest de la Côte d’ivoire mais aussi en plein cœur de la capitale économique Abidjan.

Les dirigeants politiques de la région auront sans doute du mal à l’admettre. Mais ce n’est pas faute d’avoir été prévenus : l’ONU a plusieurs fois tiré la sonnette d’alarme, pointant une catastrophe humanitaire sans doute « pire qu’en Libye », tandis que la Côte d’Ivoire était victime d’un exode massif d’au moins 500 000 personnes fuyant les combats depuis le début de la crise postélectorale.

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Dans ces conditions, l’ICG estime que les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui se réunissent en sommet mercredi et jeudi à Abuja, doivent décider de la « création d’une mission militaire » pour protéger les civils en Côte d’Ivoire. Mais trois mois après que la Cedeao a menacé d’employer la « force légitime » contre Gbagbo, le dossier échappe à l’organisation régionale.

L’Union africaine mène la danse

Un porte-parole de la Cedeao, Sunny Ugoh, prévient que pour les chefs d’État, « il s’agit simplement de se tenir informés de la situation ». Il précise que les efforts pour trouver une solution à la crise sont désormais menés au niveau de l’Union africaine (UA). Or une réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a été annoncée pour jeudi à Abuja, mais on ne savait pas mardi si elle était maintenue.

La question est toujours la même : faut-il intervenir militairement en Côte d’Ivoire et, si oui, qui en prendra la responsabilité ? Alassane Ouattara a appelé l’ONU à s’engager clairement contre Gbagbo pour « protéger des civils ». L’emploi de la force est dans le mandat de l’Onuci, mais celle-ci hésite, ne souhaitant pas envenimer le conflit, ce qui lui vaut les critiques non pas d’un mais des deux camps.

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De fait, l’ONU se contente pour l’instant de déplorer la situation, se déclarant notamment « extrêmement préoccupée par l’utilisation croissante d’armes lourdes, dont des mitrailleuses, des lance-roquettes et des mortiers, par les Forces spéciales du président Laurent Gbagbo contre les populations civiles à Abidjan », selon un communiqué publié mardi. Mais sous la pression du camp Ouattara, l’Onuci hausse le ton pour la première fois. Elle avertit « qu’elle ne tolèrera pas les tentatives d’utiliser ces armes et qu’elle prendra l’action nécessaire contre elles, conformément à son mandat ».

« Récemment, la mission a observé que le camp du président Gbagbo réparait un hélicoptère armé MI-24 sur l’aile militaire de l’aéroport d’Abidjan, et qu’il apprêtait des BM-21 lance-roquettes multiples à Abidjan », poursuit le communiqué de l’Onuci, alors que le bilan des violences depuis décembre est déjà de 440 morts – 832 selon le gouvernement Ouattara. Mais, ce n’est pas le seul motif d’inquiétude pour la communauté internationale.

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Depuis lundi dernier, le camp Gbagbo a entrepris de recruter au sein de l’armée des jeunes volontaires. Selon la radio-télévision d’État RTI, quelque 20 000 jeunes se seraient présentés pour la seule journée de lundi pour se faire enrôler. Ensuite, preuve que la tension est à son maximum à Abidjan, le camp Gbagbo vise désormais clairement les « journalistes des médias internationaux ».

Menaces contre les journalistes

Ceux-ci sont « prompts à faire diffuser volontairement des informations erronées », a affirmé sur la RTI le porte-parole du gouvernement de Gbagbo, Ahoua Don Mello, démentant tout tir d’obus par les forces fidèles à Laurent Gbagbo, le jeudi 17 mars à Abidjan sur le quartier d’Abobo (nord). Selon l’ONU, qui a parlé d’un possible « crime contre l’humanité », entre 25 et 30 personnes ont été tuées dans l’attaque. La plupart des témoins mettent en cause les FDS pro-Gbagbo.

Et Don Mello de poursuivre : les médias internationaux « adoptent en revanche un mutisme injustifié lorsque des crimes d’une atrocité révoltante sont commis par les rebelles ». Selon lui, « des exactions et des tueries commises par les rebelles » dans l’ouest du pays « ne sont pas loin de constituer, sinon un génocide, à tout le moins des actes y afférents ». « Les médias occidentaux agitent le spectre des poursuites internationales en diffusant en boucle des informations sur des charniers inexistants, des attaques imaginaires et des prétendus génocides », a-t-il encore accusé, confondant certainement les méthodes des médias occidentaux avec celles de la RTI.

Mais les accusations du camp Gbagbo ont un but : menacer les journalistes présents à Abidjan pour les empêcher de travailler. « Le gouvernement de Côte d’Ivoire appelle les médias internationaux à prendre les précautions élémentaires pour vérifier la matérialité des faits avant de les diffuser et à faire preuve de professionnalisme, c’est-à-dire d’objectivité et d’impartialité, pour ne point se rendre complices des terroristes, comme le sont déjà les forces onusiennes et les forces [françaises] Licorne, au risque de devoir les considérer désormais comme le prolongement médiatique du terrorisme ambiant », conclut le texte. On ne saurait être plus clair.

Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York, a souligné mardi que le travail de la presse ivoirienne « est de plus en plus dangereux, les journalistes faisant face à un climat de menaces, d’intimidation et d’attaques qui a forcé nombre d’entre eux à choisir entre adopter une couverture partisane ou se réfugier en lieu sûr ». (avec AFP)

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