Tunisie : attention banques fragiles !
Solvabilité en berne, créances douteuses, effondrement boursier… Deux ans et demi après la révolution, le secteur bancaire tunisien peine à se relever. Et notamment les établissements publics.
Rym Gargouri Ben Hamadou, analyste senior chez l’intermédiaire boursier Tunisie Valeurs, est formelle : « L’incertitude politique et le ralentissement économique créent un manque de confiance qui se ressent dans l’activité bancaire. Les indicateurs sont clairement au rouge. » Et elle n’est pas la seule à s’inquiéter pour les banques tunisiennes. « L’activité a marqué le pas l’an dernier, et 2013 suit la même tendance », observe Olfa Borsali Trabelsi, directrice de la recherche au sein de la société de conseil en investissement Finacorp. La hausse des crédits octroyés n’a été que de 8,7 % en 2012, contre 18,7 % en 2010 et 13,2 % en 2011. À la Bourse de Tunis, le compartiment bancaire est fortement chahuté par les investisseurs et, malgré la baisse des cours, de nombreux analystes restent toujours à l’écart des valeurs financières.
Deux ans et demi après la révolution, le secteur peine à se relever. À commencer par les établissements publics comme la Banque de l’habitat (BH), la Banque nationale agricole (BNA) et la Société tunisienne de banque (STB) qui, pendant des années, ont été protégées de la concurrence des acteurs privés. Ces derniers n’ont jamais pu atteindre une taille critique, faute d’une volonté politique de créer de grandes structures. Conséquence : la Tunisie a le taux de concentration bancaire le plus bas de la région Maghreb - Moyen-Orient. Selon la Banque mondiale, le taux de pénétration du crédit par rapport au PIB n’est que de 72 %, alors qu’il devrait être compris entre 80 % et 90 %.
Plus alarmant : la Banque centrale de Tunisie (BCT) s’est focalisée sur le maintien du taux de change du dinar par rapport aux principales monnaies internationales, sur la surveillance de l’inflation et sur l’injection de capitaux dans l’économie pour compenser l’assèchement de liquidités causé par la récession de 2011… reléguant au second plan le contrôle des ratios de solvabilité des banques. Résultat : le taux de provision moyen du secteur n’atteint que 53 %, contre une moyenne internationale de 75 %, tandis que le taux de créances douteuses est d’environ 13 % au lieu d’une fourchette de 3 % à 4 % constatée en général dans la profession.
Laxisme
C’est notamment pour ces raisons que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont recommandé en 2012 un audit complet des trois grandes banques publiques cotées, plombées par des années de laxisme dans leur gouvernance. Le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) s’occupera de la STB, le groupement Roland Berger-Ficom-Orga Audit de la BH, et on attend encore la désignation des auditeurs de la BNA. Le résultat de leurs travaux aura un objectif principal : déterminer les scénarios possibles pour renforcer et assainir ces banques.
Trois pistes sont d’ores et déjà envisagées. 1. Une fusion de ces entités, au risque de créer une grande structure publique difficilement contrôlable. 2. Une recapitalisation de ces établissements par l’État, sachant que les réserves monétaires excèdent péniblement les trois mois d’importations. 3. Une privatisation partielle qui, au vu des cours actuels de Bourse, ne sera pas forcément une très bonne affaire pour les caisses de l’État.
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« Nous suivons de près la situation de ces banques, mais elles n’ont pas encore publié leurs résultats. Nous n’avons pas d’éléments concrets pour les évaluer », déplore Olfa Borsali Trabelsi. Cela dit, la BCT et de nombreux spécialistes ont conscience de la mauvaise qualité des actifs des banques publiques, pour lesquelles « le coût du risque sera encore très important », estime Kaïs Kriaa, directeur de la recherche du cabinet d’analyse financière AlphaMena.
Dégâts
Quant aux banques privées, elles s’en sortent certes mieux, à l’instar d’Attijari Bank ou d’Amen Bank (qui a réalisé un bénéfice net de 58,5 millions de dinars en 2012, soit 28,5 millions d’euros). Mais leur situation n’est guère reluisante. « Même si nous n’avons pas eu de déception majeure au niveau des résultats, la qualité des bénéfices reste modeste, car les provisions comptabilisées sont, à notre sens, insuffisantes », juge Kaïs Kriaa. Pour Rym Gargouri Ben Hamadou, « les banques privées devraient passer beaucoup plus de provisions pour faire face au ralentissement économique et à la dégradation éventuelle de la qualité de leur portefeuille ». En clair, si l’économie tunisienne ne redémarre pas, le niveau élevé de créances douteuses dans le bilan des banques pourrait provoquer encore plus de dégâts.
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