Madagascar : Noro Andriamamonjiarson, une combattante à la tête du patronat

En appelant les entreprises à ne plus payer d’impôts, Noro Andriamamonjiarison s’attaque au régime de transition. Au point que certains lui reprochent de sortir de son rôle de patronne des patrons.

À 54 ans, Noro Andriamamonjiarison est présidente du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM). © Rijasolo/Riva Press

À 54 ans, Noro Andriamamonjiarison est présidente du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM). © Rijasolo/Riva Press

Publié le 26 juillet 2013 Lecture : 5 minutes.

Le 31 mai, une dame au visage rond et à la voix fluette a déclaré la guerre au régime de transition. Ce jour-là, Joséphine Soanorondriaka Andriamamonjiarison, dite Noro, a appelé, au nom des principales organisations patronales du pays, à une grève pas comme les autres : celle des impôts. « L’idée, c’est de faire prendre conscience aux responsables politiques qu’il faut en finir avec cette transition », indiquait à Jeune Afrique la présidente du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM) quelques jours après. Cela consiste, pour les sociétés, à ne plus verser aucun impôt dans les caisses du Trésor tant que « l’État de droit n'[aura] pas été rétabli » – autrement dit : tant que les élections n’auront pas eu lieu – et à placer cet argent dans cinq comptes séquestres créés par le patronat dans plusieurs banques de l’île.

Acte citoyen

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Le coup était osé. Les jours suivants, les hauts fonctionnaires du ministère des Finances se sont rongé les ongles. Depuis le début de la crise politique en janvier 2009 et, conséquence directe, la fin des aides extérieures, qui représentaient 50 % du budget de l’État auparavant, le Trésor est grandement dépendant des taxes versées par les entreprises. Or le GEM, qui regroupe seize associations et syndicats professionnels, six groupements régionaux multisectoriels et 62 entreprises affiliées directement – soit, au total, un millier de sociétés – représente à lui seul 45 % du PIB, 47 % des cotisations sociales et 77 % des impôts et taxes encaissés par l’État…

C’est une formidable meneuse d’hommes. Un vrai leader doté d’une forte personnalité.
Stéphane Raveloson, président du Syndicat des industries de Madagascar

Mais la menace, qui n’était rien d’autre, selon ses concepteurs, qu’un « acte citoyen » visant à « mettre la pression sur les politiques pour qu’ils trouvent enfin un terrain d’entente », a échoué. Du moins pour l’heure. Fin juin, la plupart des entreprises n’avaient pas suivi le mot d’ordre. Selon le ministère des Finances, le Trésor avait encaissé 35,4 millions d’euros (environ 100 milliards d’ariarys) au titre des impôts et taxes, et seules 53 sociétés avaient préféré verser leur contribution dans l’un des comptes créés par les syndicats patronaux. Montant de la perte pour l’État : à peine 340 000 euros, soit moins de 1 % de la somme totale.

Noro Andriamamonjiarison n’en sort pas forcément affaiblie. D’abord, parce que ses lieutenants relativisent l’échec. « Beaucoup d’entrepreneurs malgaches ont suivi notre mot d’ordre, c’est encourageant, indique Stéphane Raveloson, le président du Syndicat des industries de Madagascar. Mais pas les entreprises qui ont des capitaux étrangers. Or celles-ci pèsent lourd, peut-être 70 % des taxes. » « Certaines entreprises ont eu peur des représailles, car nous avons subi beaucoup de pressions de la part du pouvoir », explique un vice-président du GEM.

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Surtout, Noro s’est façonné une image de combattante. « Elle m’a bluffé, reconnaît un collaborateur. Au sein du GEM, il y avait des récalcitrants, mais elle s’est battue pour lancer cette opération. Et elle a reçu beaucoup de coups après. » Elle a notamment été accusée de faire le jeu de l’opposition et de manquer de patriotisme. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle s’attaquait au régime. Il y a quelques mois, elle avait accusé l’État de procéder à « un racket fiscal » sur les entreprises.

Cuillère d’argent

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Combattante, Noro Andriamamonjiarison l’est, c’est une certitude. On n’est pas la première femme à prendre la tête du principal syndicat patronal du pays – c’était en 2011 – sans un caractère bien trempé. Et on n’est pas reconduit à la tête de ce même syndicat – c’était en juin – si l’on n’a pas fait preuve d’une certaine dose d’autorité. « C’est une formidable meneuse d’hommes, estime Stéphane Raveloson. Un vrai leader qui a une forte personnalité et une vision pour le secteur privé. »

Noro Andriamamonjiarison est une femme « brillante », selon l’un de ses professeurs à l’université. Certes, elle est née avec une cuillère d’argent dans la bouche (elle est issue de la haute société tananarivienne), mais elle a pris le parti de « ne jamais se laisser guider par la facilité », estime un proche. Après avoir étudié l’économie à Madagascar, à Philadelphie (États-Unis) et à Paris (elle préside la section malgache de l’Association des Sciences-Po), elle a débuté comme analyste financière au sein de la banque BNP, en France. Puis est rentrée au pays pour diriger une filiale du groupe Bolloré (dans le tabac).

En 1996 (elle a alors 36 ans), elle crée Jocker Marketing, une société d’affichage publicitaire et d’impression grand format, tout en travaillant comme consultante. Elle en lance une deuxième en 2003, Hermès Conseils, un cabinet spécialisé en études économiques, en marketing et en communication qu’elle continue de gérer aujourd’hui. Ce qui fait dire à ses détracteurs que, avec un poids économique faible, elle reste fortement dépendante des patrons des grosses sociétés au sein du GEM. « Elle veut agir, elle a de bonnes intentions, mais elle n’a pas les moyens de ses ambitions », constate un membre éminent de la société civile qui la connaît bien.

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Autre grief : ses incursions en politique. Si elle les a mises en sourdine ces derniers temps, Noro Andriamamonjiarison avait, plus jeune, des prétentions en la matière – comme son père, le général Désiré Rakotoarijaona, qui fut le Premier ministre de Didier Ratsiraka pendant plus de dix ans (un record à Madagascar), de 1977 à 1988. De 1996 à 2003, elle fut maire de la commune d’Ivato, dans la banlieue d’Antananarivo. Au début de la crise, en 2009, elle figurait parmi les meneurs de la société civile et participa aux négociations avec les responsables politiques.

Suspicion

Cela lui vaut aujourd’hui des inimitiés et une certaine suspicion parmi ses pairs. « C’est son gros point faible, juge l’un de ses proches. Même si elle a pris ses distances avant d’être élue à la tête du GEM, certains patrons pensent qu’elle continue à faire de la politique. » Aujourd’hui, assure-t‑elle, elle se bat avant tout pour les entreprises du pays. Or, pour ce faire, il faut trouver une solution à la crise. « Tous les secteurs sont sinistrés, se désole-t‑elle. Les entreprises n’ont plus de réserves, elles sont au bout du rouleau. La situation sociale est dramatique, la corruption progresse. Mais les politiciens ne se préoccupent pas de tout cela. Il faut sortir de cette impasse. »

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