Pour que l’Afrique puisse nourrir l’Afrique

Robert Zougmoré est le coordinateur régional pour l’Afrique de l’Ouest du Programme de recherche sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale.

Publié le 14 juillet 2013 Lecture : 4 minutes.

Un récent rapport de la Banque mondiale se fait l’écho des prévisions inquiétantes qui, depuis des années, circulent parmi les spécialistes du climat et les experts agricoles : les phénomènes liés au changement climatique sont en passe d’accroître de manière dramatique le nombre déjà décourageant des Africains qui n’ont pas suffisamment à manger.

Dans seulement quelques décennies, 40 à 80 % des terres aujourd’hui consacrées au maïs, au petit mil et au sorgho en Afrique subsaharienne pourraient devenir inaptes à la culture de ces céréales de base, primordiales pour la population, prévoit le rapport. Face à des prévisions aussi inquiétantes, le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a essayé de rester positif. « Je ne pense pas que les pauvres soient condamnés à l’avenir sombre que prévoient les scientifiques dans de ce rapport », a-t-il déclaré.

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Cette semaine, les dirigeants du continent se réunissent au Ghana pour la 6e Semaine africaine des sciences agricoles, dont le thème est « L’Afrique nourrit l’Afrique ». Comme le montre la Banque mondiale, peu de choses sont aussi susceptibles d’affecter l’autosuffisance alimentaire africaine que l’évolution des conditions de production des cultures engendrée par le changement climatique. Cette conférence sera une bonne occasion d’examiner comment les scientifiques peuvent aider les Africains à s’adapter afin de ne pas « être condamnés » aux sombres augures des experts.

Une manière d’échapper à cet avenir sombre est de renforcer la capacité d’adaptation des agriculteurs africains.

Une manière d’y parvenir est de renforcer la capacité d’adaptation des agriculteurs africains. Il s’agit de faire descendre les sciences du climat des plus hautes sphères où elles gravitent pour les ramener au niveau des champs paysans, sous la forme de prévisions saisonnières de la pluviosité et des températures, capables d’orienter et de guider la gestion des exploitations agricoles (par exemple, les décisions concernant la plantation, les activités agricoles et les récoltes). Mon organisation, le Programme de recherche sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS) du CGIAR, collabore avec des petits agriculteurs à travers le monde entier pour surmonter les menaces que fait peser le changement climatique sur l’agriculture et la sécurité alimentaire.

Ces dernières années, nous avons mené un projet-pilote de prévisions climatiques saisonnières avec les agriculteurs de Kaffrine au Sénégal. Les modèles montrent qu’au cours des vingt prochaines années, ces derniers devraient subir, de manière continue, une baisse des précipitations et une hausse des températures. Cette situation constitue un laboratoire intéressant pour apprendre comment gérer les risques liés à la variabilité climatique.

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On ne peut toutefois pas se contenter de fournir des prévisions climatiques aux agriculteurs en espérant qu’ils les suivent de façon scrupuleuse. C’est pourquoi, à Kaffrine, nous nous sommes focalisés sur l’ouverture d’un dialogue avec les agriculteurs afin d’intégrer nos connaissances à leur savoir-faire traditionnel.

Par exemple, les agriculteurs nous ont relaté la façon dont ils surveillent les apparitions inhabituelles de serpents ou de grenouilles, les changements de direction du vent, et les transformations soudaines de nuages noirs en nuages blancs, qui sont des moyens d’anticiper l’arrivée des pluies. Nous avons comparé ces observations avec ce que nous dit la science : à savoir que le début de la saison des pluies est annoncé par des vents humides du sud-ouest, un changement dont les animaux, notamment les serpents et les grenouilles, peuvent être sensibles, et aussi que les lignes de grains de pluie impliquent des stratocumulus noirs suivis par des cumulonimbus blancs.

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Nous avons également aidé ces agriculteurs à comprendre que l’océan peut emmagasiner de la chaleur pendant une longue période – un phénomène connu sous le nom de « mémoire thermique des océans » – et qu’en évaluant la température des océans il est possible de prévoir, sur une période de plusieurs mois, comment ils pourraient influencer les tendances des précipitations.

Nous avons constaté que, à l’instar des méthodes traditionnelles, nos méthodes ne produisent que des probabilités de précipitations, et non des certitudes. Les agriculteurs nous ont notamment demandé de leur fournir des prévisions pour le nombre de jours de pluie de la saison et pour la date probable du début de la mousson. Nous avons pu observer que les paysans disposant de prévisions climatiques saisonnières prenaient de meilleures décisions de plantation et de récolte que les autres. Ils semblent en outre de plus en plus demandeurs de ces indications climatiques. Nous avions initialement prévu de diviser les agriculteurs de Kaffrine en deux groupes – dont un seul recevrait les prévisions climatiques – afin de comparer les résultats. Mais personne ne voulant être laissé de côté, nous avons finalement fourni les prévisions à tous.

Les prévisions climatiques saisonnières ne sont qu’un outil parmi d’autres dont les Africains ont besoin pour gérer les risques graves liés au changement climatique. Les agriculteurs de Kaffrine m’ont toutefois laissé un sentiment optimiste quant aux capacités d’adaptation de l’Afrique. Avec des investissements adéquats, il est fort possible que le continent « fasse la paix » avec le changement climatique et se construise un avenir où l’Afrique pourra nourrir l’Afrique.

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