La révolution tunisienne en danger

La révolte tunisienne qui a semé les germes d’un « printemps arabe » persistant inquiète certains observateurs dont les attentes sont loin d’être satisfaites. Moncef Guen expose ici quelques pistes pour sauver cette révolution historique.

Une manifestation à Tunis, le 25 janvier 2011. © AFP

Une manifestation à Tunis, le 25 janvier 2011. © AFP

Publié le 3 mars 2011 Lecture : 4 minutes.

La Tunisie passe par une période très difficile, quelques semaines à peine après le 14 janvier, date historique de sa révolution qui a déclenché une onde de choc salutaire sur tout le monde arabe, en commençant par l’Égypte. Notre pays a accompli en quelques semaines ce qu’aucun autre pays arabe n’a accompli : une victoire sur la dictature et l’injustice. Ceci, avec le moindre coût en vies humaines surtout si l’on voit la boucherie intolérable que le dictateur libyen impose à son peuple.

Trois dangers principaux guettent la révolution tunisienne. Si le peuple tunisien, et au premier chef l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et l’armée nationale, ne serre pas ses rangs autour de la démocratie dans l’ordre public, la révolution du jasmin sera une page de courte durée dans l’histoire de notre peuple. Un peuple qui a aboli l’esclavage et instauré une Constitution au XIXe siècle, a conquis son indépendance et supprimé la polygamie au XXe et, enfin, a accompli la première révolution du XIXe.

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Danger politico-constitutionnel

Un temps précieux a été perdu depuis le 14 janvier. Un premier président, puis un deuxième. Un premier gouvernement, un deuxième, avant un troisième, sans boussole politique. Des commissions qui se réunissent sans  résultats probants. Des mesures éparses prises sous le poids des événements. Des nominations de ministres, gouverneurs et responsables d’entités publiques vite désavouées et remises en cause. En un mot, des tâtonnements.

Pas de politique d’ensemble qui analyse le présent et éclaire l’avenir. Pas de rupture avec l’ancien régime. Ce n’est pas un hasard que le peuple est en pleine ébullition. Quand on voit la manière dont les Égyptiens, à qui nous avons appris comment réussir une révolution, agissent pour effacer les séquelles de l’ancien régime, on se demande si l’on n’a pas raté le coche.

Le 15 mars va se poser le problème de la transition constitutionnelle. Va-t-on déclarer que des circonstances exceptionnelles justifient l’extension du délai de transition ? De combien de mois, d’années ? Le peuple acceptera-t-il l’extension de ce délai ? Si non quelle sera la légitimité juridique des gouvernants ? Et comment combler le vide constitutionnel ?

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Franchement, on aurait pu changer le code électoral rapidement en l’espace de ces deux mois, appeler les électeurs à une Assemblée constituante pour élire un nouveau gouvernement provisoire et préparer une deuxième République. On ne l’a pas fait, et on est devant une impasse politico-constitutionnelle.

Pour s’en sortir maintenant, il faut écourter la phase transitoire au minimum et passer aux élections dans les meilleurs délais. En attendant, un gouvernement de jeunes technocrates (entre 20 et 40 ans), pris dans le pays et non à l’étranger, expédiera les affaires courantes, laissant à l’armée la sécurité du pays.

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Danger économico-social

Si l’économie continue sa trajectoire actuelle, elle sera exsangue dans quelques mois. Plus de réserves de change, plus d’investissements, plus de travail, à côté de la misère héritée de l’ancien régime et qui touche pratiquement les trois quarts du pays. On devrait faire appel, un appel urgent aux institutions internationales et aux entités telles que l’Union européenne pour une assistance d’urgence.

Les déclarations de bonne volonté ne suffisent plus. Il faut des actions concrètes si l’on veut aider la Tunisie à sortir de l’ornière. Mais on peut aussi se demander pourquoi les ressources qui ont quitté le pays pendant l’ancien régime ne sont-elles pas encore retournées dans leur forme liquide, au moins, à ce même pays.

Que font les ministères de la Justice et des Affaires étrangères ainsi que la Banque centrale pour mettre toutes les pressions nécessaires sur les instances extérieures pour récupérer ces montants dus au peuple tunisien ? Il s’agit là de ressources importantes que l’on mettrait à bon emploi en faveur des jeunes au chômage.

Je lance ici un appel aux Tunisiens de la diaspora pour promouvoir, dans un mouvement de solidarité agissante, des investissements en Tunisie, en utilisant une partie de leur épargne et en visitant le pays au moins pendant deux semaines dans les hôtels pour compenser le manque à gagner du tourisme international. 

Si des mesures urgentes ne sont pas prises pour assurer une relance de l’économie en dehors de tout chaos et toute insécurité, les problèmes de chômage et de précarité vont s’aggraver et mener le pays à l’effondrement.

Dangers extérieurs 

Ces problèmes sont déjà multipliés par l’exode des Tunisiens de Libye qui viennent encore exacerber la situation. De plus, la Tunisie se trouve, par la faute d’un dictateur sanguinaire, plongée dans une crise humanitaire dont l’ampleur dépasse ses modestes moyens.

Là aussi, notre diplomatie doit se déployer rapidement pour assurer l’assistance humanitaire nécessaire en faveur non seulement des réfugiés étrangers mais aussi des réfugiés tunisiens. Car ils sont des Tunisiens, certes, mais des réfugiés économiques qui méritent une assistance provisoire, en attendant que le pays s’organise pour les absorber.

Le temps est à l’action rapide, autant qu’ à la réflexion.

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