Algérie : le pilotage à distance d’Abdelaziz Bouteflika

Les réactions au « discours » d’Abdelaziz Bouteflika – qu’il n’a pas prononcé lui-même – sont dans l’ensemble négatives. On reproche au président sa distance par rapport aux préoccupations sociales des Algériens, son manque d’engagement concret contre la corruption et l’absence de perspective démocratique.

Abdelaziz Bouteflika, un président distant en période de crise. © AFP

Abdelaziz Bouteflika, un président distant en période de crise. © AFP

Publié le 27 février 2011 Lecture : 4 minutes.

Le 24 février, les Algériens attendaient un discours de leur président à l’occasion de la levée officielle de l’état d’urgence en vigueur depuis 19 ans. Mais ils ont dû se contenter d’un simple communiqué, lu au nom de Abdelaziz Bouteflika par un conseiller au siège de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), à l’occasion d’un double anniversaire : celui des quarante ans de la centrale syndicale et de la nationalisation des hydrocarbures.

Si l’Alliance présidentielle, coalition de partis soutenant Bouteflika, juge que cette attitude réservée du président est secondaire par rapport aux mesures annoncées (levée de l’état d’urgence, projets de soutien au logement et à l’emploi), de nombreux Algériens n’hésitent pas à exprimer leur déception. Pour Rabah Abdallah, journaliste et membre du Comité national pour la liberté de la presse (CNLP), « le discours de Bouteflika est une non-expression. La moindre des choses aurait été qu’il dise comprendre les raisons de la gronde sociale », regrette-t-il, alors que de nombreux mouvements sociaux se sont récemment organisés partout dans le pays.

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Même déception du coté de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH). Son secrétaire général, Moumène Khelil se dit « perplexe » et relève l’incongruité de la situation. « Dans ce contexte de mécontentement, choisir de sortir du silence dans ce lieu symbolique pour les Algériens qu’est la Maison du peuple [le siège de l’UGTA, NDLR], un lieu qui a été confisqué par l’appareil du pouvoir qu’est l’UGTA, renvoie une image négative à la jeunesse », explique-t-il.

Loin des préoccupations populaires

Du coté de l’Alliance présidentielle, on ne comprend pas cette indignation. « Peu importe la forme tant qu’il y a un message du président », commente Abdelmadjid Azzedine, député du Front de libération nationale (FLN). Quant au porte-parole du Rassemblement national démocratique (RND), Miloud Chorfi, interrogé par jeuneafrique.com, il accuse les opposants d’être des « propagateurs de la tristesse et du désespoir ».

Pourtant, le discours du président s’est situé loin de toutes les préoccupations populaires. Il a principalement porté sur deux points : la lutte anticorruption, que le gouvernement Bouteflika dit placer « au cœur de son action », et le renforcement des moyens des services de contrôle de l’État « évalué à 400 milliards de dinars (soit 4 milliards d’euros) », entre 2010 et 2014.

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Car la promesse de lutter contre la corruption, brandie à chaque crise d’impopularité, ne convainc plus l’opinion, échaudée par la multiplication des scandales politico-financiers. « Tout le monde sait que la corruption touche les classes dirigeantes, on aurait aimé que Chakib Khelil [ex-ministre de l’Énergie et des Mines, NDLR], mis en cause dans l’affaire de la Sonatrach soit entendu par la justice », explique Rabah Abdallah. Une tendance à l’immunité ministérielle qui n’échappe pas non plus au secrétaire général de la LADDH, qui trouve « méprisable que, dans l’affaire Khalifa puis celle de Sonatrach, les ministres s’en sortent sans inquiétude ».

Enfin, les partisans d’une démocratie libérale espérait des annonces sur l’ouverture politique et médiatique promise par le président le 3 février. Leur déception est à la hauteur de leur attente. « Ce ne sont pas les moyens qui manquent aux organismes de contrôles, mais leur indépendance », fustige Saïd Chekri, rédacteur en chef du quotidien Liberté. « Peut-on prétendre régler les problèmes de la corruption lorsqu’on ne dispose pas d’une justice indépendante, que le gouvernement est à la fois initiateur, conducteur et contrôleur des mesures et que l’opposition n’a pas le droit à la parole médiatique ? J’en doute », ajoute-t-il.

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"Pourrissement de la situation sociale"

Du côté de l’Alliance présidentielle, on se félicite au contraire de la mise en œuvre de « mesures concrètes ». Le porte-parole du MSP, Mohammed Djemâa en fait l’énumération : « Levée de l’état d’urgence, mesures sociales et Louisa Hanoune [présidente du Parti des travailleurs, NDLR] est passée à la télévision nationale pendant une heure. » Preuve selon lui de l’ouverture médiatique en cours…

En revanche, la télévision nationale reste fermée pour Mohammed Said, l’opposant dont la formation politique, le Parti pour la liberté et la justice (PLJ), n’est pas légalisée par le ministère de l’Intérieur. Pour lui, Louisa Hanoune n’est pas vraiment une opposante, puisqu’elle siège à l’Assemblée nationale. « L’Alliance présidentielle comme les partis agréés ont démontré leurs limites et sont responsables du pourrissement de la situation sociale », affirme-t-il haut et fort.

Enfin, la parole présidentielle était également attendue sur la situation des pays voisins, notamment sur le soulèvement libyen. Là encore, pas un mot, sauf pour dire que « l’Algérie n’est ni la Tunisie, ni l’Égypte, ni la Libye ».

« C’est une communication désastreuse », estime Moumène Khelil, de la LADDH. « Il est impossible d’empêcher une identification aux mouvements populaires des pays arabes, parce que leurs aspirations sont les mêmes » qu’en Algérie. Un pays où ces aspirations ne trouvent cependant pas d’expression commune. Une troisième marche empêchée par les force de l’ordre a eu lieu samedi 26 février à Alger. Elle n’a mobilisé qu’une centaine de personnes.

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