Sophie Bessis : « Les Tunisiens ont éliminé le concept même du chef »
Économiste, essayiste, journaliste, Sophie Bessis a beaucoup écrit sur les pays du Sud et l’Afrique. « Dedans, dehors », son dernier livre, abandonne l’analyse sociétale pour emprunter le chemin escarpé de la quête de soi. Entretien.
Avec L’Occident et les autres, histoire d’une suprématie (La Découverte, 2001),ou encore Femmes du Maghreb, l’enjeu (JC Lattès, 1992), Sophie Bessis est devenue une voix incontournable pour l’approche des sociétés des pays en développement, notamment ceux du Maghreb et de l’Afrique.
Dans son dernier livre, Dedans, dehors (Elyzad, 2010), elle change radicalement de « genre », proposant cette fois un récit intimiste, à mi-chemin entre l’autobiographie et le témoignage. C’est une œuvre condensée de 135 pages où, pour la première fois, l’auteur lève le voile sur son identité construite autour de ses origines métisses de « juifarabe », de sa passion pour le continent et de sa lutte pour la libération des femmes.
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Jeuneafrique.com : Dedans, dehors est un livre étrange, impressionniste, à la fois poétique et lucide. Comment le définir ?
Sophie Bessis : Dire que c’est un récit autobiographique me convient bien. Les quinze chapitres qui le composent sont des morceaux d’un récit très personnel. Je dis au début du livre que j’avais envie d’écrire des contes, mais des contes vrais !
On connaît votre talent d’essayiste. A quel moment avez-vous ressenti le besoin d’écrire sur vous-même ?
C’est le premier texte complet que j’ai écrit à la première personne. J’avais déjà fait de petits morceaux autobiographiques, des textes très courts qui avaient été publiés dans des ouvrages collectifs, mais qui faisaient au maximum 2 à 3 pages. Cette fois, il me fallait écrire tout un livre que j’avais promis à Elyzad, ma maison d’édition. N’étant pas romancière, la forme autobiographique me semblait le support le plus approprié pour raconter mon expérience du monde. Dans la vie de chacun, il arrive un moment où l’on n’a pas forcément envie de dire autre chose, mais les choses autrement.
« C’est un pays banal pourtant. Tout petit, joli. Les soleils y sont clairs, les murs blancs… », dites-vous en parlant de la Tunisie. La Tunisie est omniprésente dans votre récit. C’est même son sujet primordial ?
Je ne suis pas d’accord. Certes, je m’attarde longuement dans ces pages sur la Tunisie, car la vie a fait que ce pays soit une part majeure de mon histoire. Mais j’ai également consacré beaucoup de pages à l’Afrique subsaharienne. Elle est très importante pour moi. Je suis tunisienne et nomade. Mon nomadisme m’a conduit ailleurs. J’ai créé des liens avec ces ailleurs, en particulier avec l’Afrique et avec certaines campagnes françaises.
Vous consacrez également plusieurs pages à Bourguiba et à… Béchir Ben Yahmed, le fondateur et président du groupe Jeune Afrique. Les portraits que vous avez brossés de ces deux hommes sont saisissants…
Vous avez raison de mettre ensemble les deux, car je ne connais pas plus « bourguibiste » que Béchir Ben Yahmed. Ce dernier est « bourguibiste » par toutes ses fibres, dans ce qu’il avait de très bon et de moins bon. Ils sont tous les deux des despotes éclairés qui ne laissent personne insensible. Pour des raisons évidentes, Bourguiba qui a été le premier président de la Tunisie et l’a conduite vers la modernité, a profondément influencé ma génération. Comme, par ailleurs, je lui ai consacré une biographie, je l’ai fréquenté intellectuellement. J’avais fini par bien le connaître, comme un auteur peut connaître son sujet d’étude.
Quant à Béchir Ben Yahmed, je l’ai eu comme patron puisque j’ai longtemps travaillé à Jeune Afrique. J’ai raconté dans mon livre l’expérience de mon travail au quotidien en tant que journaliste sous sa direction.
Vous partagez votre vie entre la Tunisie et la France. Est-ce que la révolution tunisienne va changer le rapport que vous entretenez avec ce pays où vous êtes née ?
Je ne sais pas encore. Je suis immensément heureuse de ce qui s’est passe en Tunisie qui est mon pays. Nous avons assisté à une véritable libération. Quoi qu’il advienne demain, cette libération restera dans les annales car pour la première fois dans le monde arabe un peuple s’est levé, pas pour remplacer un chef par un autre, mais pour remplacer un régime autoritaire par un régime démocratique. Les Tunisiens ont éliminé le concept même du chef, pour accéder à la démocratie.
Est-ce que cette évolution va changer mon rapport avec le pays ? Est-ce que je serais plus dedans que dehors, j’avoue je n’en sais rien. Cela ne dépend pas que de moi…
Propos recueillis par Tirthankar Chanda
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