Le Parlement tunisien confie ses pouvoirs à Fouad Mebazaa
La Chambre tunisienne des conseillers (Sénat) a adopté une loi autorisant le président tunisien par intérim Fouad Mebazaa à gouverner par décrets-lois. La légitimité du Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, qui fait face à une « explosion sociale » selon ses propres termes, a été remise en cause par un sénateur au cours de la séance.
L’exécutif tunisien a les coudées franches pour mener la transition vers la démocratie comme bon lui semble. Le président par intérim, Fouad Mebazaa, président de l’Assemblée nationale sous Zine el-Abidine Ben Ali, peut désormais gouverner par décrets-lois.
Mercredi, à l’unanimité, les 86 conseillers (sénateurs) tunisiens présents (sur 126) lui ont confié ce pouvoir en votant une loi, qui avait déjà été adoptée par l’Assemblée nationale.
Dos au mur
Le Premier ministre Mohamed Ghannouchi (lui aussi en poste sous Ben Ali) les avait exhortés à voter oui « pour permettre au gouvernement de travailler ». Celui-ci est en effet dos au mur. Les Tunisiens perdent patience et en plus des revendications politiques (certains réclament toujours la démission de tous les anciens membres de l’ancien part-État, le Rassemblement constitutionnel démocratique, dont Mohamed Ghannouchi et Fouad Mebazaa), les demandes sociales sont de plus en plus pressantes.
Mardi, entre 400 et 500 personnes ont envahi le gouvernorat au cœur de la capitale pour réclamer du travail et des aides. Mercredi, dans le centre de Tunis, un homme a été blessé par une balle. Des militaires, présents devant un bureau d’aide sociale, tentaient de canaliser des centaines de personnes, dont des handicapés, qui revendiquaient des aides sociales allant de 30 à 150 dinars (15,5 à 78 euros) .
Parlant d’« explosion sociale », Mohamed Ghannouchi a demandé aux Tunisiens d’être plus patients. « Nous sommes soumis à des pressions sociales à cause des revendications du peuple, a-t-il déclaré. Nous les comprenons. Mais il faut prendre en considération le fait que l’État n’est pas encore en capacité pour le moment de répondre à toutes ces demandes. Nous n’avons pas de baguette magique. »
De fait, les mesures sociales ne font pas partie du programme des réformes annoncées par l’exécutif, qui entend se concentrer sur le système politique, afin d’aller aux élections au plus vite. Le délai de six mois, plusieurs fois évoqué par les autorités qui n’ont toutefois pas donné de date précise, est jugé intenable par plusieurs observateurs. Fouad Mebazaa devrait rapidement légiférer sur l’amnistie générale, les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme, le code électoral ainsi que l’organisation des partis politiques.
Sur ce dernier point Mohamed Ghannouchi a annoncé la légalisation « dans quelques jours » des formations politiques, interdites sous Ben Ali, qui en ont fait la demande. Le mouvement islamiste Ennahda de Rached Ghannouchi et le Congrès pour la République (CPR, gauche) de Moncef Marzouki ont déjà déposé leur dossier en ce sens.
"Chasse aux sorcières"
Mais la position de Mohamed Ghannouchi, qui avait dirigé le gouvernement de Ben Ali pendant onze ans, est toujours aussi délicate. Déjà demandé par la rue, son départ aussi a été réclamé par le conseiller indépendant Ridha Mallouli pendant la séance. « Vous ne pouvez pas être dans le gouvernement de la révolution, a-t-il lancé. Ne me dites pas que vous n’étiez pas au courant de tout ce qui s’est passé. »
« La chasse aux sorcières est un danger qui menace notre pays », a répliqué le Premier ministre copieusement applaudi par l’hémicycle.
Certains des 24 nouveaux gouverneurs (préfets) nommés la semaine dernière pour remplacer ceux en poste sous Ben Ali, sont déjà très contestés. Parmi eux, 19 étaient des adhérents ou des proches du RCD, qui comptait près de la moitié de la population tunisienne adulte selon les chiffres officiels.
Le nouveau gouverneur de la région de Sousse (sud de Tunis) a été contraint de quitter ses bureaux sous la pression d’une foule en colère. Les fonctionnaires en poste à Monastir et Medenine ont eux aussi été contestés par les manifestants sous leurs fenêtres.
Même le quotidien La Presse de Tunisie, journal d’État verrouillé sous l’ancien régime, ironise : « Le peuple sait lire les CV », écrit-il dans son édition de mardi. (avec AFP)
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