La crise économique mondiale, un déclic dans la révolution tunisienne

Ancien haut fonctionnaire du FMI et auteur de plusieurs essais sur l’économie tunisienne, Moncef Guen livre ici un diagnostic rapide de la situation économique plus d’un mois après la révolution historique.

Un café incendié à Monastir, le 16 janvier 2011. © AFP

Un café incendié à Monastir, le 16 janvier 2011. © AFP

Publié le 9 février 2011 Lecture : 3 minutes.

La révolution tunisienne termine son premier mois. Elle a été une onde de choc dans le monde arabe, on le voit très bien en Égypte. Il est essentiel qu’elle réussisse. Sa réussite ne sera complète que si le processus démocratique se concrétise de jour en jour et que son économie connaisse un développement accéléré et équilibré.

D’abord, il faut noter une croissance faible durant les trois dernières années, soit en moyenne 3,8 % par an en termes réels. La chute a été brutale en 2009-2010. Une des raisons principales en est, bien entendu, la crise financière et économique mondiale qui affecte en particulier l’Union européenne (UE), dont la Tunisie dépend d’une façon extrême.

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Ce danger de dépendance excessive était visible de longue date mais il s’est manifesté d’une manière patente depuis 2008. On dira un jour qu’à quelque chose, malheur est bon. Sans la crise, on serait peut-être resté sous la férule de la dictature. En plus de l’étouffement des libertés et de l’oppression, la crise a été le déclencheur du ras-le bol.

Chômage des jeunes

L’inflation, telle que mesurée par l’indice des prix à la consommation, a été en moyenne annuelle de 4,5 % au cours des trois dernières années.  Ce qui n’est pas négligeable, même si l’on exclut toute manipulation de cet indice. Cette inflation rogne le pouvoir d’achat des masses populaires et surtout des chômeurs.

Le chômage précisément est demeuré très élevé. Il s’est aggravé, selon les chiffres officiels, de 12,6 % en 2008 à 13,3 % en 2009. Celui des jeunes, surtout des jeunes diplômés, a été encore plus élevé, allant selon les estimations jusqu’à 40-60 %. Cela veut dire que, pour cette catégorie, l’indice de misère est proche de 70 %. On comprend dès lors leur désarroi et leur participation massive, en particulier dans les zones déshéritées du pays, à la révolution.

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Un tel chômage, la négligence de l’hinterland et l’ampleur de la corruption expliquent que le coefficient de Gini (mesure de l’équité de distribution des revenus) soit relativement élevé (4 sur une échelle de 10). WikiLeaks a révélé à tous le degré de luxure dans lequel vivaient et (vivent encore) les privilégiés de l’ancien régime : jets privés, yachts, palais, hummers, porsches, comptes bancaires à l’étranger.

Le peu d’intérêt donné à l’agriculture, dont la part dans le Produit intérieur brut (PIB) est descendue à 12 % et dont la croissance entre 1998-2008 n’a été que de 2 %, a entraîné un exode rural massif. La Tunisie est devenue un des pays les plus urbanisés en Afrique, et on présentait cela comme un progrès dont il fallait être fier ! Le fossé entre zones rurales et zones urbaines a aggravé la perception du chômage par les jeunes qui étaient chassés de leurs terres par la misère et le désespoir.

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Quelques redressements nécessaires

Il faut y ajouter le déséquilibre entre les régions côtières et les régions intérieures (Sidi Bouzid, Gafsa, Kasserine, Kairouan, Le Kef, Jendouba) qui pourtant ont un potentiel économique non négligeable dans l’agriculture, les industries agroalimentaires, les mines, les industries de transformation, les activités artisanales et les services. Ces régions constituent les trois-quarts de notre territoire et on les a marginalisées. Sans parler des investissements absurdes qui consistent à créer un aéroport à Enfidha, juste à une cinquantaine de kilomètres de celui très fonctionnel de Monastir. 

La dette extérieure a augmenté considérablement durant la dernière vingtaine d’années. Elle a été ramenée 48 % du PIB fin 2010 mais elle absorbe presque 12 % des exportations de biens et de services. Dans les circonstances actuelles où les exportations vers l’UE sont menacées par la crise et les recettes du tourisme sont sérieusement affectées, le service de la dette extérieure va poser problème. Il est capital, malgré les difficultés qu’il faut espérer passagères, que la Tunisie honore ses engagements et assure ce service sans faille. Il y va de notre crédibilité internationale.

La tâche est donc dure et nécessite plusieurs années de redressement. Il faut l’expliquer. Y préparer le pays, notamment les jeunes, et ceux qui demandent des augmentations rapides de salaires. Il est à espérer que les institutions financières internationales et les organisations multilatérales comme l’UE engageront un dialogue rapide et constructif avec le gouvernement de transition pour épauler la Tunisie pendant les prochaines années. 

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