WikiLeaks-RDC : la rivalité Kabila-Kamerhe, vue par Washington
Selon un câble diplomatique américain recueilli par WikiLeaks, le président congolais Joseph Kabila aurait usé de pots-de-vin, voire de menaces, pour obtenir la démission de Vital Kamerhe du perchoir de l’Assemblée nationale, en 2009. En cause : les ambitions présidentielles de son ancien allié, qui commençait à lui faire de l’ombre.
Afrique : la bombe WikiLeaks
Alors que la campagne pour la présidentielle paraît déjà lancée en République démocratique du Congo (RDC), WikiLeaks lâche une nouvelle bombe. Selon l’ambassadeur américain à Kinshasa, Joseph Kabila aurait usé en mars 2009 de différents types de pressions, dont de très copieux pots-de-vin (il est plusieurs fois question de 200 000 dollars) et de possibles menaces, afin d’obtenir la démission de Vital Kamerhe, lequel était alors président de l’Assemblée nationale mais était tombé en disgrâce pour sa liberté de ton.
Constitutionnellement, le président congolais n’a pas le pouvoir de révoquer le président de l’Assemblée nationale, en vertu de la séparation des pouvoirs. A en croire le rapport qu’a établi à l’époque l’ambassadeur américain à Kinshasa William Garvelink pour le Secrétariat d’État américain*, Kabila aurait donc entrepris de l’obtenir d’abord par des pressions indirectes.
Vital Kamerhe venait de s’opposer publiquement au chef de l’État sur deux points sensibles de sa politique : les « contrats chinois » négociés par Kinshasa et son alliance avec le Rwanda dans la guerre dans l’Est de la RDC (où Kamerhe dispose de nombreux soutiens). Pour Joseph Kabila, qui voyait en Kamerhe un sérieux rival potentiel, le président de l’Assemblée nationale venait de franchir la ligne rouge.
« Le gang des quatre »
Selon le câble diplomatique, Joseph Kabila a offert 200 000 dollars à chacun des membres du bureau de Kamerhe pour qu’ils démissionnent. L’ambassadeur précise que cette affirmation est confirmée par « plusieurs sources ». Et le jour où le câble était rédigé, trois membres du bureau avaient déjà démissionné.
À en croire le diplomate américain, outre la carotte, Joseph Kabila aurait aussi manié le bâton en constituant un groupe informel, baptisé « le gang des quatre », pour mettre directement la pression sur Vital Kamerhe lui-même. Ce groupe était constitué d’Augustin Katumba Mwanke (très proche conseiller de Joseph Kabila), Ghislain Chikez (ancien ministre de la Défense), Olivier Kamitatu (toujours ministre du Plan) et Évariste Boshab (à l’époque secrétaire général du parti de Kabila avant de succéder à Vital Kamerhe à la présidence de l’Assemblée nationale où il officie toujours).
Kabila aurait également formé une délégation de quatre chefs tribaux pour intervenir auprès de Kamerhe. L’un d’entre eux, qui sera interrogé ultérieurement par deux représentants (un de l’ONU et un de la France), confiera que Kabila « voulait éliminer » Kamerhe. Une déclaration que les occidentaux ne prennent toutefois pas au sérieux, car émanant d’un chef « manquant de crédibilité », notamment à cause de son « alcoolisme sévère ».
Au représentant de l’Union européenne (UE) pour les Grands lacs, Roeland van der Geer, Kamerhe aurait lui-même confié qu’il craignait qu’on s’en prenne à lui physiquement et qu’il n’avait d’autre choix que de démissionner et de quitter le pays. Là encore, les ambassadeurs occidentaux, qui surveillent ensemble cette « première crise politique majeure » dans le camp de Kabila, mettent en doute cette version qu’ils considèrent comme probablement exagérée. Pourtant, quelques jours après la rencontre avec Van der Geer, c’est un Vital Kamerhe « tremblant » qui réaffirme les risques pesant sur sa sécurité au chef de la Mission des nations unies en RDC (Monuc), Alan Doss, et à l’ambassadeur de l’UE, Richard Zink.
Les Occidentaux, qui semblent tenir Vital Kamerhe en piètre estime, décident toutefois de ne pas intervenir « tant que la Constitution est respectée ». Et le président de l’Assemblée nationale annoncera finalement sa démission le 25 mars 2009.
Kamerhe : « C’est moi la victime »
Interrogé par RFI lundi, Vital Kamerhe dit avoir pris connaissance du contenu des câbles « comme tout le monde ». « Dans ces documents, c’est moi la victime. Je n’ai pas été associé à une quelconque opération de corruption », plaide-t-il.
Le ministre de la Communication, Lambert Mende, également interviewé, estime quant à lui que l’ambassadeur américain, auteur du câble, avait « été abusé, pour autant que le texte vienne de lui ». Vital Kamerhe « a fini par jeter l’éponge de lui même […] après qu’il s’est rendu compte que [l’Assemblée nationale] n’était pas pour lui en majorité », juge-t-il.
Lambert Mende estime par ailleurs « tout à fait incroyable » que les membres du bureau ait pu recevoir 200 000 dollars affirmant que « le président n’est pas quelqu’un qui distribue de l’argent ni à ses visiteurs et encore moins à ses députés… ». Mais selon le câble diplomatique, les tentatives « d’acheter les votes » au Parlement congolais sont « souvent efficaces dans cette culture politique hautement corrompue »…
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* Le câble diplomatique, recueilli par WikiLeaks, n’a pas été publié par l’organisation elle-même ni par l’un des journaux partenaires de son opération comme c’était habituellement le cas, mais par le journal belge néerlandophone De Standaard.
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