Tunisie : programme économique d’urgence
Consultant international et auteur d’ouvrages sur les enjeux économiques en Tunisie, Moncef Guen énumère un ensemble de mesures urgentes à prendre au lendemain de la révolution historique au pays du jasmin.
La première révolution du XXIe a réussi. Le peuple tunisien a donné l’exemple au monde arabe et, tout simplement, au monde entier. Mais il ne faut pas oublier les défis économiques, qui expliquent en grande partie la révolte tunisienne vite transformée en révolution, auxquels s’ajoutent, bien sûr, l’étouffement des libertés et les mascarades électorales.
En effet, la crise financière et économique mondiale continue dans les économies riches, notamment européennes (en 2011 la croissance de la zone euro sera de 1,3 % contre 1,5 % en 2010). Ainsi les exportations vers l’Europe restent bouchées. Les hôtels se vident de touristes et ferment les uns après les autres. Standard & Poor’s et Moody’s viennent de dégrader la dette tunisienne. Donc emprunter sur les marchés coûtera plus cher, s’il est même possible. Les autorités de transition se doivent de réfléchir à un programme économique d’urgence.
Dans les dispositions que je suggère, il y a les mesures immédiates (dans les jours qui viennent) et les mesures médiates (dans les trois mois qui viennent).
Mesures immédiates
Il est nécessaire d’assurer le ravitaillement correct du pays. Si les produits de première nécessité viennent à manquer, il y aura une inflation rapide, l’apparition d’un marché noir et un mécontentement populaire croissant.
Il est nécessaire également de défiscaliser les produits alimentaires essentiels pour assurer, sinon la baisse de leurs prix, au moins leur stabilité dans les semaines et mois prochains.
Il faut aussi promouvoir les débuts d’une relance économique interne, basée essentiellement sur une baisse du chômage des jeunes. Cela passe par la mise en œuvre d’un programme de développement rural (utilisant d’abord les projets en pipeline) afin d’assurer un travail de 120 jours par an à tous les demandeurs d’emploi dans les zones rurales. Son budget sera établi à partir de ressources internes en attendant des financements à plus long terme de l’extérieur.
Il faut arrêter les crédits aux mandarins de l’ère révolue et favoriser les financements des petites et moyennes entreprises.
Il faut nationaliser les établissements bancaires et d’assurances sur lesquels une mainmise frauduleuse a été effectuée.
Il faut lancer une législation rapide de lutte contre la corruption : déclaration des avoirs des responsables, mesures favorisant la dénonciation dans les administrations et les entreprises, sanctions contre les corrompus et les corrupteurs.
Mesures médiates
Il est nécessaire de défiscaliser l’emploi des jeunes (20 à 40 ans par exemple) dans tous les secteurs en supprimant sine die les charges sociales et tout impôt sur les salaires.
Il est nécessaire de lancer un programme de développement des régions intérieures en focalisant les investissements publics et en encourageant les investissements privés dans ces régions. Il faut, en particulier, lancer les investissements d’infrastructures pouvant assurer des externalités positives aux placements futurs.
Il faut revoir la loi 1972 sur les industries offshore de façon à la rendre plus sélective quant au choix des investissements en attendant la refonte de toute la législation sur les investissements nationaux et extérieurs. N’oublions pas que l’investissement en Tunisie n’a pas dépassé 25 % du Produit intérieur brut (PIB) alors qu’un taux supérieur est une caractéristique des pays à forte croissance.
Il est nécessaire de préparer un plan de relance industrielle destiné à promouvoir les industries innovantes et à haute valeur ajoutée, capables d’absorber les ingénieurs et autres techniciens actuellement en chômage. Afin d’améliorer la productivité et porter à un niveau supérieur le taux de croissance économique.
Il faut revoir les structures de recherche et développement de façon à en assurer un meilleur rendement. N’oublions pas qu’en 2008, la Tunisie n’a produit que 26 patentes internationales, loin derrière la moyenne de la région Afrique du Nord – Moyen-Orient et des pays comme le Chili ou la Corée.
Il faut préparer un plan de distribution des terres domaniales aux jeunes agronomes et leur fournir les financements nécessaires pour mieux les exploiter
Il est nécessaire de promouvoir un tourisme de qualité et rémunérateur pour le pays car le critère principal de réussite n’est pas le nombre de touristes mais la dépense par touriste ; donc les recettes en devises dont bénéficie le pays. Il n’y a qu’à regarder Maurice par exemple.
Ces mesures entraîneront des dépenses budgétaires supplémentaires et des moins-values fiscales. Mais en attendant une revue radicale des dépenses publiques (la Tunisie ne l’a jamais faite avec la Banque mondiale) et une réforme fiscale et parafiscale, il est nécessaire d’accepter un déficit public important qui pourrait être financé en partie par un recours à des facilités du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
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