Cameroun : la gestion des terres en question
Alors que le ministère de l’Agriculture a annulé en juin une convention signée avec la société Herakles Farms, venue cultiver 73 000 hectares d’huile de palme, la délivrance de terres dans le pays à des investisseurs peu scrupuleux fait polémique.
L’avocat Samuel Nguiffo, défenseur infatigable des hommes et de leur environnement est blasé. « Rien ne bouge, l’État donne ses terres à qui veut, sans enquête préalable, raconte-t-il, de passage à Paris. Les sociétés engrangent des milliards en quelques années en revendant des concessions non exploitées alors que l’État donne de faux espoirs aux Camerounais en termes d’emploi et de richesse. » Le fondateur et secrétaire général du Centre pour l’environnement et le développement (CED) vient pourtant de remporter une bataille : le ministère de l’Agriculture a décidé d’annuler le 14 juin une convention signée en 2009 avec l’entreprise américaine Herakles Farms, dénoncée depuis plusieurs mois par les ONG hollandaise Greenpeace et américaine Oakland Institute (US).
Démarche malhonnête
Dans une enquête rendue publique le 23 mai, les deux organisations ont démontré la démarche malhonnête de la compagnie dirigée par Bruce Wrobel : projet moins rentable qu’annoncé au gouvernement camerounais et aux investisseurs ; note à l’attention de ces derniers datée de mars 2013 indiquant que la société aurait reçu toutes les autorisations pour débuter ses opérations, alors qu’aucun décret ni bail n’avait encore été signé par le président camerounais. Mais encore. Bruce Wrobel, affirmant d’abord que les recettes issues de la vente du bois coupé pour la mise en culture reviendraient à l’État, change de version dans une lettre ouverte aux investisseurs : le bois leur assurerait des recettes immédiates.
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Un rapport de l’administration avait aussi été réalisé en mai par le ministère des Forêts et de la Faune. Il dénonçait déjà l’utilisation d’intimidation, de corruption, et de distribution d’alcool par Herakles pour arriver à ses fins. « Herakles a coupé 500 hectares, car ils avaient reçu une autorisation ministérielle de déforester 2 500 hectares… alors qu’ils n’ont aucun bail ! », déplore Samuel Nguiffo. Ce nouveau cas illustre l’incohérence des autorités et leur difficulté à choisir et à encadrer les investisseurs alléchés pas les vastes étendues fertiles du Cameroun.
Train de vie dispendieux mais aucune activité sur le site
Le cas Herakles n’est malheureusement pas isolé. Trois scandales secouent déjà le pays dans le secteur des mines. Le dernier en date concerne Geovic Cameroun (Geocam), filiale du groupe américain Geovic Mining Group, qui devait exploiter la mine de cobalt de Nkamouna. Cette dernière, détenue à 39,5% par l’État n’a jamais démarré ses travaux et a facturé, en 2008, 60 millions de dollars à l’État actionnaire pour des études de faisabilité. Alors sous tutelle du Fond monétaire international (FMI), Yaoundé obtient l’aval de ce dernier malgré les soupçons qui pèsent sur la société : train de vie dispendieux mais aucune activité sur site ; non intention d’exploiter à peine masquée dans ses rapports annuels… l’objectif était plutôt de revendre la concession à un grand groupe international et de dégager une substantielle plus value.
L’objectif était plutôt de revendre la concession à un grand groupe international et de dégager une substantielle plus value.
La mine de diamant de Mobilong, exploitée depuis fin janvier par les coréens de Cameroon and Korean Mining, a été une autre source de tensions. En cause, une surévaluation de la mine à 420 millions de carats, soit 17 fois sa valeur réelle. La communication, relayée par l’ancien ambassadeur coréen aux ressources naturelles, Kim Eun-Seok, a fait décoller le cours de la société cotée à Séoul, enrichissant au passage quelques membres de la famille du diplomate et des employés de la société. « L’État a publié cette information sans même vérifier », regrette encore Samuel Nguiffo.
Pression sur la forêt, sans retour pour les camérounais
Autre affaire : celle de l’australien Sundance. Faute de moyens suffisants, la junior minière n’exploitera jamais le gisement de fer de Mbalam et tente de le revendre au plus offrant. En négociations jusqu’en avril denier avec les chinois de Hanlong, l’opération d’1,36 milliard de dollars, si elle avait abouti, aurait rapporté des millions de dollars aux australiens contre un investissement minimum. Autant de pression sur la forêt, sans retour pour les Camerounais, dénonce le militant. L’administration ne semble pas s’en émouvoir : après son échec avec Hanlong, Sundance s’est résolu le 2 juillet à faire jouer la concurrence et a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour sélectionner les candidats à la reprise du projet.
Contacté par Jeune Afrique, le ministère des Forêts n’a souhaité commenter aucune de ces informations.
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