Révoltes sociales : après l’Algérie et la Tunisie, le Maroc ?

Le Maroc résistera-t-il à l’onde de choc qui secoue le Maghreb après la révolution tunisienne ? Si les mouvements sociaux sont une réalité depuis longtemps dans le royaume, il ne dépend que des autorités de prévenir d’éventuels troubles.

Les autorités marocaines sauront-elles éviter au royaume la contagion dans les révoltes sociales. © AFP

Les autorités marocaines sauront-elles éviter au royaume la contagion dans les révoltes sociales. © AFP

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 20 janvier 2011 Lecture : 3 minutes.

Les Marocains suivent avec beaucoup d’attention ce qui se passe chez leurs voisins maghrébins : émeutes de la faim en Algérie ; vague de tentatives de suicide par le feu dans presque tout le Maghreb – où l’immolation se veut mode de protestation pouvant aboutir comme dans le cas tunisien à une véritable révolution. Mais jusqu’à présent, le calme règne au royaume. Du moins en apparence.

Car le Maroc n’est pas à l’abri d’une onde de choc. Des protestations se sont faites virulentes ces dernières années dans le royaume et pourraient repartir de plus belle alors que les prix des denrées alimentaires de base ont flambé comme partout ailleurs. Le pays connaît d’ailleurs depuis fort longtemps des mobilisations de jeunes diplômés-chômeurs, un mouvement à l’origine de l’embrasement de la Tunisie.

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Certains de ces diplômés marocains, sans emploi, réclament d’entrer dans la fonction publique et manifestent régulièrement depuis des années devant le Parlement à Rabat. « On peut dire que le Maroc a été pionnier sur ce plan. Les premières associations de jeunes diplômés-chômeurs ont vu le jour dans les années 1990. On a vu se structurer un mouvement avec des sit-in, des marches de protestation et même des tentatives de suicide », fait remarquer Mohamed Madani, un spécialiste des sciences politiques à l’université de Rabat.

Moins de diplômés-chômeurs

Mohamed Tozy, un autre professeur de sciences politiques de l’université Hassan II de Casablanca, souligne qu’il y a « beaucoup de parallèles entre le Maroc et la Tunisie : mêmes structures démographiques, mêmes demandes des jeunes sur le marché du travail », sans compter des problèmes de corruption dans les deux pays. Et c’est là que le bât blesse.

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« Il y a un vrai problème de gouvernance et cela peut provoquer des expressions de contestation populaires aussi violentes que ce qu’on a vu en Tunisie », estime ainsi M. Tozy. En juin 2008, notamment, des affrontements entre forces de l’ordre et jeunes chômeurs à Sidi Ifni (sud-ouest) avaient fait 44 blessés dont 27 parmi les policiers…

Ceci dit, les modèles tunisiens et marocains sont loin d’être totalement comparables. D’abord parce qu’au pays du jasmin, les jeunes sont plus touchés par le chômage que leurs voisins algériens et marocains, souligne Khadija Mohsen-Finan, enseignante et chercheuse à l’université Paris VIII. En Tunisie, un diplômé sur trois n’a pas de travail. Au Maroc c’est nettement moins : autour de 18 %, précise-t-elle. Selon le haut-commissariat marocain au Plan, le taux de chômage global est passé en 2010 de 9 % à 10 %.

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Plus de libertés

Autre élément important, souligne la chercheuse : le Maroc ne connaît pas encore de problème de légitimité. La monarchie sert d’élément fédérateur. En outre, celle-ci a créé un « espace public qui n’est pas parfait mais qui existe », insiste-t-elle. « Il y a des journaux, il y a un pluralisme qui a toujours existé et qui a été renforcé lorsque le pouvoir a reconnu un parti islamiste à partir de 1998. » Le Maroc connaît « une certaine ouverture du jeu politique […] le pouvoir n’est pas isolé », confirme le professeur Madani. En clair : le Maroc a fait des progrès sur le plan des libertés. Mais s’il  revenait en arrière, sa stabilité pourrait être remise en question.

Enfin, il y a une chose qui différencie jusqu’à preuve du contraire Mohamed VI et Ben Ali. Le premier bénéficie du contre-exemple du premier. Et peut ainsi tenter de prendre les devants sur un éventuel mouvement de contestation. La récente multiplication des tentatives d’immolation par le feu dans plusieurs pays arabes dont l’Égypte et l’Algérie, après les événements tunisiens, n’a ainsi pas échappé aux autorités marocaines.

Mesures préventives

Selon le quotidien arabophone Assabah, le ministère de l’Intérieur a demandé aux autorités locales de « ne pas provoquer les citoyens afin d’éviter que l’un d’eux ne s’immole ». « Des instructions ont aussi été données de ne pas vendre l’essence aux personnes qui ne sont pas motorisées ». Enfin, le Maroc et d’autres pays de la région, inquiets d’une éventuelle contagion tunisienne, viennent de lancer des appels d’offre pour l’achat d’importantes quantités de céréales. Afin d’éviter d’éventuelles émeutes de la faim.

« L’âme arabe est brisée par la pauvreté, le chômage et le recul des indices de développement », a averti le 19 janvier le président de la Ligue arabe, Amr Moussa, lors d’un sommet des 22 membres de l’organisation consacré aux questions économiques et sociales, à Charm el-Cheikh (Égypte). « Les citoyens arabes sont dans un état de colère et de frustration sans précédent », ajoute-t-il. (Avec AFP)
 

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