Patrice Nganang : « J’ai écrit pour le Cameroun qui souffre d’une stagnation historique »
Le nouveau roman de Patrice Nganang, Mont Plaisant*, met en scène Bertha, une jeune femme étudiant aux États-Unis, revenue au pays pour y faire des recherches sur les origines du nationalisme camerounais. L’occasion pour l’auteur de se plonger dans le Cameroun de la Première Guerre mondiale et de rendre hommage à la production intellectuelle du sultan Njoya (1871-1933), souverain bamoum féru d’art et de sciences, inventeur de son propre alphabet. Entretien.
Jeunafrique.com : Dans Mont Plaisant, vous instaurez une sorte de dialogue entre l’histoire académique, incarnée par la jeune Bertha, et celle vécue, à travers le personnage de Sara. Est-ce une façon de revisiter le passé du Cameroun en dépassant les seules archives coloniales ?
Patrice Nganang : L’histoire appartient à tout le monde, mais ce n’est pas parce qu’on est africain qu’on connaît forcément celle du continent. Il faut faire des recherches pour avoir une autorité sur le sujet abordé. C’est pourquoi j’ai opté pour une écriture professionnelle. J’ai utilisé toutes les possibilités, toutes les ressources historiques dont j’ai pu disposer, en menant, huit années durant, des recherches au Cameroun, aux États-Unis, en Allemagne, en France.
Cela dit, même si les livres sur l’histoire du Cameroun sont très précis, l’histoire n’est pas quelque chose d’académique, elle est avant tout le vécu d’êtres humains. D’habitude, la version officielle de l’histoire camerounaise commence dans les années 1950, lors de la bataille pour l’indépendance. Ma conviction est que l’histoire intellectuelle commence bien avant. Hélas le Saa’ngam [les mémoires du royaume bamoum achevées en 1921 par le sultan Njoya, NDLR] n’est même pas enseigné au Cameroun ! Njoya a inventé une écriture, et tout le monde s’en fiche ! Mais on ne peut pas écrire le postcolonialisme tant qu’on n’a pas écrit l’histoire des années 1910, 1920, 1930, tant qu’on n’a pas exploré le langage de nos grands-parents.
Avec Mont Plaisant, avez-vous voulu apporter une lumière nouvelle sur la culture bamoum ?
La bibliothèque du sultan Njoya est en train de mourir, mangée par les cancrelats… Ce roman n’est pas une œuvre de sauvegarde, je dirais plutôt qu’il s’inscrit dans un processus d’excavation de cette mémoire. Njoya aurait pu être mon grand-père, et l’intelligence que j’ai aujourd’hui vient en partie de lui, il fallait donc lui rendre hommage !
Mais j’ai aussi écrit ce roman parce que j’ai souvent l’impression que les Camerounais sont tristes, car le pays est dans une période de stagnation historique. Je voulais montrer que ça n’a pas toujours été le cas.
Je me suis donc intéressé au Cameroun pendant la Première Guerre mondiale, car à cette époque c’était le centre du monde ! Bien qu’il ait très peu voyagé, Njoya a entretenu des relations avec l’Allemagne, l’Angleterre, la France… C’est cette présence du monde dans la plus petite unité que Njoya m’a révélée. J’essaye de raconter la totalité du monde dans les quartiers les plus oubliés de l’histoire, en l’occurrence celui de Nsimeyong, à Yaoundé.
Votre roman le plus remarqué, Temps de chien (2001), racontait lui aussi l’histoire d’un "sous-quartier". Mais alors qu’il était parsemé d’expressions "camfranglaises" et bamilékées, ici vous utilisez un français plus classique. Pourquoi ?
Tout roman utilise une langue bien précise. Dans Temps de chien, c’était celle du Yaoundé des années 1990. Pour Mont Plaisant, aucun des personnages de cette époque ne parlant français, il aurait été étonnant, voire insultant pour l’intelligence du lecteur, de placer dans leur bouche ce qu’on appelle des « africanismes ». Le roman raconte avant tout les odeurs de la terre, la couleur du ciel, la musique sur laquelle on danse… C’est cette totalité qui fait un roman, la question de la langue n’est que périphérique. Demande-t-on à un architecte quel type de briques il utilise sans se soucier du bâtiment dans sa globalité ?
Vous avez écrit un premier manuscrit de Mont Plaisant en anglais. Pourquoi ?
J’avais décidé d’arrêter d’écrire en français, car je suis très pessimiste pour l’évolution de la littérature francophone. Elle manque d’idées, les auteurs se plagient, et la critique n’ose pas le dire. De plus, en France les auteurs n’ont aucun droit sur leurs écrits. Je vis aux États-Unis depuis dix ans. Ici, les auteurs sont publiés par un agent littéraire, ça change tout. Finalement, j’ai décidé de publier tout de même en français et de passer par l’intermédiaire d’un des rares agents littéraires hexagonaux, ce qui me permet de conserver des droits sur mon livre en dehors de France. Je me suis approprié ce livre entièrement.
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* Mont Plaisant, de Patrice Nganang, éditions Philippe Rey, 412 pages, 20 euros.
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