Lucas Abaga Nchama : « Toutes mes actions tendent à restaurer la crédibilité de la Beac »

Le 17 janvier 2010, l’Équato-Guinéen Lucas Abaga Nchama était désigné à la surprise générale gouverneur de la Beac par les six chefs d’État de la Cemac, réunis à Bangui (Centrafrique). Il y avait  urgence. L’institution était en crise à la suite des révélations par Jeune Afrique, en septembre 2009, de détournements orchestrés depuis le bureau parisien de la banque centrale pour un montant de 31 millions d’euros. Un an après sa nomination, Abaga Nchama réalise pour la première fois un bilan de son action. Interview.

Le gouverneur de la Beac estime avoir « hérité d’une situation difficile ». © Beac

Le gouverneur de la Beac estime avoir « hérité d’une situation difficile ». © Beac

Publié le 18 janvier 2011 Lecture : 7 minutes.

Jeune Afrique : Quel bilan tirez-vous de votre première année à la tête de la Beac ? Après un an, l’institution a-t-elle retrouvé toute sa crédibilité ?

Lucas Abaga Nchama : La crédibilité découle de l’image de la Beac qui, elle, dépend de la qualité de sa gouvernance. Restaurer la crédibilité de l’institut d’émission est une préoccupation majeure des chefs d’État de la Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale] qui ont prescrit des mesures fortes dans ce sens dès leur sommet de Bangui en janvier 2010. En Juin 2010 à Brazzaville, ils ont réitéré cette prescription et instruit le comité ministériel de l’Umac [Union monétaire d’Afrique centrale] d’organiser une mission de haut niveau auprès du directeur général du FMI. Ce qui a été fait aussitôt. La mise en œuvre du plan d’action convenu avec le FMI est à ce jour jugée satisfaisante.

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Au plan interne, je n’ai pas hérité d’une situation facile. Dès mon arrivée à la tête de l’institut d’émission, j’ai pris d’importantes mesures en phase avec la volonté des chefs d’État pour assainir la gouvernance de la Banque centrale. Parmi les principales actions qui en ont découlé, on peut citer la réduction des charges fonctionnelles et d’investissement en vue de retrouver l’équilibre financier, après un résultat négatif de l’ordre de 30 milliards de F CFA enregistré à la fin de l’exercice 2009. Les autres mesures phares comprennent la création de cellules internes de contrôle dans les départements opérationnels les plus sensibles de la Banque centrale, la mise en place d’un département d’audit et d’inspection dédié exclusivement aux opérations du siège de la Beac à Yaoundé, le renforcement des effectifs de la direction générale, ceux du contrôle général, la réorganisation des services de la Banque centrale dans l’optique d’une meilleure cohérence et d’une efficacité accrue.

Dans le même temps, la réforme des statuts de l’institution se poursuit, notamment celles tendant à renforcer et à consacrer l’indépendance du contrôle interne et externe pour hisser la Banque au niveau des standards internationaux.

S’agissant en particulier de l’identification et de l’application de sanctions à l’encontre des auteurs présumés des malversations constatées au bureau extérieur de Paris, il convient de relever que des procédures pénales ont été initiées en France, au Gabon, au Cameroun, en Centrafrique et au Congo. Les investigations se poursuivent, car il s’agit de tirer toutes les conséquences administratives, disciplinaires, pénales et civiles. Toutes ces actions tendent à restaurer peu à peu la crédibilité de la Beac et à lui redonner ses lettres de noblesse.

Les comptes de la Banque seront-ils positifs en 2010 ?

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S’agissant de 2010, avant certification des comptes par les commissaires aux comptes et approbation par le conseil d’administration, la tendance est à une nette amélioration de la situation comptable par rapport aux pertes de l’ordre de 30 milliards de F CFA affichées en 2009. Tout porte à croire que le résultat sera bénéficiaire à la fin 2010 et le montant sera rendu public conformément aux textes en vigueur à la Beac.

Plusieurs audits ont été commandés depuis plus d’un an. Sur quelles décisions ont-ils débouché ?

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Plusieurs audits ont été effectivement réalisés en 2009 et 2010, concernant plusieurs aspects de la gestion de la Beac. Tirant les leçons des conclusions de ces audits, le gouvernement de la Banque centrale a, d’ores et déjà, pris les mesures suivantes :

– la centralisation de la gestion de toute la trésorerie en devises ;
– la centralisation de la gestion de tous les moyens de paiement administrés par la Beac ;
– l’adoption d’un code des marchés ;
– la séparation des tâches entre la comptabilité et les opérations de trésorerie ;
– l’élaboration d’un plan de réformes du système de gestion de la Beac, approuvé par le comité d’audit et dont le financement à hauteur de quatre milliards de F CFA vient d’être voté par le conseil d’administration.

Où en sont vos relations avec le FMI qui étaient tendues en 2010 ?

Les relations de la Beac avec le FMI se sont normalisées depuis le troisième trimestre 2010. En effet, dans le cadre du programme de sauvegarde des banques centrales, le FMI avait prescrit une mission pour appuyer la Beac dans la mise en place d’une stratégie visant à renforcer la gouvernance interne et restaurer sa crédibilité. Cette mission a conduit à l’élaboration d’un « plan d’action » qui a été validée par les organes de décision de la Banque. À ce jour, 97 % des mesures prévues par le plan d’action ont été réalisées.

En complément de ces mesures nécessaires, qui visaient surtout à corriger les dysfonctionnements dans le processus de gestion des ressources de la Banque, j’ai, en mars 2010, lors de sa première rencontre avec le directeur général du FMI en tant que gouverneur de la Beac, sollicité l’appui du FMI dans plusieurs domaines. En réponse à cette demande, une mission du FMI a séjourné à Yaoundé, du 19 octobre au 2 novembre 2010, en vue d’effectuer un diagnostic de la gouvernance d’entreprise, de la gestion et des capacités techniques de la Beac pour élaborer un programme d’assistance technique sur trois ans.

Parallèlement à cette assistance du FMI, la Beac bénéficie également de l’appui déterminé de la Banque de France qui vient de lui détacher un expert-résident en matière de contrôle interne.

Où en sont vos investigations sur les détournements opérés depuis le bureau parisien de la Beac ? La somme de 19 milliards de F CFA est-elle définitive ? Avez-vous découvert depuis d’autres irrégularités ?

Sur la période 2004 à 2008, d’autres irrégularités ont été découvertes après exploitation des chèques complémentaires reçus de la Société Générale. Les investigations sont terminées, à l’exception des transferts privés des agents et des dépenses liées aux évacuations sanitaires. Les enquêtes seront ensuite étendues à la période 2000 -2004. Globalement, à ce jour, le montant des détournements est évalué à 20,3 milliards de F CFA [31 millions d’euros].

À Bangui, en janvier 2010, les chefs d’État de la Cemac ont affirmé que toute la lumière serait faite sur les détournements à la Beac. Est-ce toujours d’actualité ?

La position prise par les chefs d’État de la Cemac lors du sommet de Bangui reste d’actualité. C’est dans cet objectif que nous poursuivons les investigations d’ordre interne et que la justice a été saisie en France et dans plusieurs États de la Cemac. La Beac entreprendra tout ce qui est en son pouvoir pour faire toute la lumière et engagera partout où cela sera nécessaire des actions en justice.

Où en sont les plaintes déposées par la Beac auprès de la justice ?

Les procédures pénales suivent leur cours dans plusieurs pays, au Gabon notamment, mais aussi au Cameroun, en République centrafricaine et au Congo où les autorités judiciaires ont été saisies sur plaintes déposées par la Beac agissant en tant que victime et partie civile. À Libreville on est à l’étape de l’instruction. En effet, à la suite des enquêtes de police, sous la supervision du parquet, un juge d’instruction a été désigné. Celui-ci a procédé à des auditions et confrontations diverses. Plusieurs personnes impliquées dans les détournements ont été inculpées à Libreville, dont trois sont en détention préventive.

Au Cameroun et en République centrafricaine des plaintes nominatives avec constitution de partie civile ont été déposées, l’information judiciaire est ouverte. Au Congo, les autorités judiciaires ont pris en charge le dossier et sollicité des informations et pièces complémentaires qui ont été fournies.

La Beac tient cependant à rappeler qu’à son grand étonnement aucune suite significative n’a été réservée aux procédures engagées à Paris. C’est le lieu de rappeler qu’au titre des plaintes contre X déposées à Paris dès fin 2008, des enquêtes ont été menées par la brigade financière (section fraudes aux moyens de paiement) qui a convoqué et entendu divers protagonistes dont le délégué du gouverneur de l’époque. Le dossier d’enquête, transmis au parquet de Paris en novembre 2009, aurait été transféré à Libreville, selon le juge parisien. La réception du dossier transféré n’a toujours pas été confirmée par les autorités judiciaires gabonaises.

Quoi qu’il en soit, une telle issue laisse sans réponse la question des complicités sur place à Paris, lieu de commission de l’essentiel des faits. La Beac envisage donc de lancer à Paris des plaintes additionnelles, avec mise en cause nominative, contre les personnes morales et physiques ayant bénéficié des chèques sans contrepartie en termes de prestations fournies à la Beac et certains professionnels du métier bancaire, notarial ou autres contre lesquels des faits punissables sont relevés.

Qu’en est-il des poursuites contre ceux qui sont suspectés d’être les principaux artisans des détournements : Armand Brice Ndzamba, l’ancien comptable du bureau parisien de la Beac, et Maurice Moutsinga, l’ex-directeur de la comptabilité au siège de Yaoundé ?

Monsieur Ndzamba, ancien comptable au bureau de la Beac Paris, est inculpé et détenu à Libreville, ainsi que son épouse [Marion Karin Leflem, NDLR], qui exerçait d’importantes responsabilités dans les sociétés créées pour l’extorsion des fonds de la Beac.

Monsieur Maurice Moutsinga, ancien directeur de la comptabilité aux services centraux, mis en cause a été incarcéré après son départ à la retraite.

La Beac a-t-elle engagé des poursuites contre les anciens gouverneurs, MM. Mamalepot, gouverneur de la Beac entre 1990 et 2007 et Andzembé (2007-2010) ?

Les plaintes déposées ne mettent pas en cause nominativement Mamalepot et Andzembé, mais sont formulées de façon à permettre une telle éventualité, en fonction des éléments probants qui pourraient être réunis par les moyens de procédure pénale.

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