Après 23 ans d’oppression, le printemps en Tunisie
Le Conseil constitutionnel a finalement proclamé samedi matin le président de l’Assemblée nationale, Foud Mebazaa, comme nouveau chef de l’État après la fuite de Ben Ali en Arabie saoudite. Une élection présidentielle doit être organisée dans les deux mois. Le peuple tunisien est encore sous le choc, mais entend bien continuer à jouer son rôle pour éviter que les anciennes dérives ne se reproduisent. Reportage.
Hier soir, à 20 heures 30, frissons de joie en Tunisie. Tandis que dans les quartiers de la capitale, les populations, malgré l’état d’urgence et le couvre feu, se mobilisaient pour contrer les pillages de maisons et commerces, l’hymne national diffusé sur Tunis 7 a été entonné à l’unisson par toute la population. Pendant quelques petites et éternelles secondes, Tunis n’a eu qu’une seule voix.
Une scène à peine croyable quelques heures avant. Les choses sont allées si vite que les Tunisiens sont abasourdis. En 29 jours de contestation populaire soutenue, ils ont balayé 23 ans de régime de Ben Ali. Durant la nuit, les hélicoptères de l’armée n’ont cessé de patrouiller alors que des tirs fréquents se faisaient entendre.
Un appel au calme et à l’unité nationale a été lancé dans la nuit par le président par intérim d’alors, Mohamed Gannouchi, pour éviter les débordements et les pillages. Mais une partie de la population se sent frustrée, et n’apprécie pas que l’on ait fait appel à l’article 56 de la Constitution à l’occasion du départ de Zine el-Abidine Ben Ali. De fait, celui-ci restait président de la République tunisienne et se trouvait, par sa fuite, dans « l’empêchement temporaire d’assurer ses fonctions ». Un retour était donc possible.
Les Tunisiens avaient l’impression d’un escamotage et qu’on les avait empêchés de savourer pleinement leur victoire. Des marches ont commencé à s’organiser dans plusieurs villes de province, samedi matin, pour réclamer le départ de Ghannouchi. Raison pour laquelle, samedi matin, Ben Ali a été définitivement écarté du pouvoir par une décision du Conseil constitutionnel déclarant une « vacance définitive du pouvoir », et le recours à l’article 57 de la Constitution. Par conséquent, c’est bien le président du Parlement, Fouad Mebazaa, qui devient le nouveau chef de l’État par intérim. Et de nouvelles élections législatives doivent être organisées dans les deux mois.
Fouad Mebazaa, le nouveau président par intérime de la Tunisie, ici le 17 mars 2007 à Tunis.
© Fathi Belaid / AFP
Année de la jeunesse
Un apaisement minimum est nécessaire pour amorcer la mise en place d’un processus démocratique. Mais dans les cercles dirigeants, nombreux sont ceux qui pensent qu’une démission pure et simple de Ben Ali aurait légitimé l’action des dernières semaines. Les avocats tunisiens ont officiellement désapprouvé le recours à l’article 56 et, toute la nuit, leur prise de positions ont été largement relayées par les réseaux sociaux de manière virulente. Les jeunes sont de tous les débats et leurs aînés, étonnés, ne peuvent que constater leur maturité politique. Ils ont clos de manière triomphale cette année 2010 que Ben Ali avait justement déclaré année de la jeunesse…
Au matin du 15 janvier, un nouveau soleil s’est levé sur la Tunisie. Un temps réellement printanier accompagne l’écriture de cette nouvelle page de l’histoire du pays. Le centre-ville de Tunis est bloqué par l’armée. Mais les soldats sont adorables avec la population qu’ils essaie de rassurer au mieux. Les gens ont l’air un peu hébétés, car n’ayant pas prévu la chute si rapide du régime. Peu ont fait de provisions, les points d’approvisionnement ne sont pas légion, et les hangars de stocks de Radès ont été pillés pendant la nuit, comme l’hypermarché Géant du nord de Tunis. Les distributeurs sont vides, mais les cafés qui ont pu ouvrir sont pleins.
Grande fraternisation
Et l’atmosphère qui règne à Tunis est celle d’une grande fraternisation entre Tunisiens, dans la dignité et la retenue. Les gens peuvent se parler sans tabou, ne sont plus paranoïaques, les policiers en civil ont disparus. On se regarde différemment, on a presque envie de s’embrasser…
Mais beaucoup de questions restent encore sans réponse tandis que de nouvelles surgissent. Où sont passés les ex-conseillers de Ben Ali, Abdelwaheb Abdallah, Abdelaziz Ben Dhia, ainsi que les membres de la famille Trabelsi, notamment Sakhr El Matri, le gendre de l’ancien président ? Qui rendra des comptes ? On s’interroge aussi sur la nature de ceux qui ont soutenu, dans l’ombre, cette révolution. En clair, tout le monde redoute une manipulation du parti de Ben Ali, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), pour garder le pouvoir. Les journées qui viennent seront décisives quant à l’identification des participants à la construction d’un nouvel État de droit.
Une chose est sûre : le peuple entend bien continuer à jouer son rôle. Le pouvoir, quel qu’il soit, devra désormais compter avec lui.
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